L’Église et l’IVG “thérapeutique” : retour sur un malentendu

Publié le 26 juin 2009 par Micheljanva

On se souvient de la polémique qui avait opposé Jeanne Smits, qui a suivi ce dossier de près (ici, ici, ici et ici) et Patrice de Plunkett (ici) à propos de l'affaire de Recife. Sur Liberté Politique, Pierre-Olivier Arduin revient sur la question de l'avortement thérapeutique :

" Ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire de Recife n’en finit pas de susciter des remous au sein des organismes catholiques qui se consacrent à la protection de la vie de l’enfant à naître. De nombreux esprits sont troublés en raison de jugements moraux approximatifs portés sur ce drame, d’autant que certaines de ces prises de position, notamment en France, ont pu être émises par des personnalités en vue, laïques ou ecclésiastiques, ce qui n’a fait qu’accroître la confusion (...)

la petite fille est finalement hospitalisée loin de chez elle dans un établissement sanitaire de Recife pour y subir le 4 mars dernier un double avortement. Les deux principales raisons invoquées pour justifier cette décision sont, d’une part, le contexte de cette grossesse gémellaire issue d’un viol odieux et, d’autre part, le jeune âge de la victime dont la gestation serait susceptible, nous dit-on, de mettre sa vie en danger (...)

La controverse va s’importer au sein même des milieux pro-vie semant le trouble quant à l’appréciation morale à porter sur l’éventuelle licéité d’un avortement « médical » dans de pareils cas. La confusion est grande depuis que certaines voix catholiques ont semblé justifier a posteriori l’acte pratiqué par les médecins brésiliens (...) À tel point que les lobbies pro-avortement estiment qu’une partie de l’Église a enfin accepté l’avortement « thérapeutique » pour protéger la vie d’une mère en danger du fait de sa grossesse.

Pour avaliser cette conclusion fut convoqué un grand principe de la philosophie morale : la théorie du double effet (...) L’argumentation classique du double effet est basé sur le fait que la conséquence prévisible et prévue d’un acte n’est pas nécessairement son effet voulu (...) Dans le cas qui nous intéresse, ceux qui applaudissent la décision des médecins brésiliens présument que ces derniers ont avant tout voulu sauver la fillette dont la vie était en danger (effet bon voulu) en recourant à un avortement non souhaité en lui-même (effet secondaire mauvais). Cette justification, aussi séduisante soit-elle au premier abord, est tout simplement fausse (...)

En effet, il existe des conditions de validité extrêmement précises qui doivent être remplies pour que la théorie du double effet soit utilisée à bon escient.

  • l’acte ne doit pas être mauvais en lui-même ;
  • l’effet indirect mauvais, même s’il est prévu, ne doit pas être voulu ;
  • l’effet indirect mauvais ne doit pas être utilisé comme moyen d’obtenir l’effet bon ;
  • il ne doit exister aucun autre acte permettant d’atteindre cet effet bon recherché, c’est-à-dire qu’on ne peut pas faire autrement.
  • (...) Dans l’affaire du Brésil, ces critères rigoureux sont totalement bafoués : l’avortement est mauvais en lui-même puisqu’il supprime la vie des deux jumeaux innocents, il est voulu pour lui-même et non simplement prévu et il est le moyen d’obtenir l’effet bon, ici sauver la vie de la fillette. Les médecins ont d’ailleurs revendiqué leur geste, et donc révélé clairement leur intention, en déclarant à la presse brésilienne qu’ils militaient pour la légalisation de l’avortement dans leur pays. En l’espèce, s’appuyer sur la théorie du double effet est une forfaiture qui obscurcit les consciences. L’argument du double effet ne peut s’appliquer que lorsque l’avortement est la conséquence secondaire d’un acte en lui-même non abortif.

    (...) Dans l’affaire de Recife, n’y avait-il donc pas la place pour envisager une autre solution éthique, celle qui aurait été respectueuse des trois vies innocentes en jeu dans cette histoire ? Les deux jumeaux ne pouvaient-ils pas bénéficié des moyens les plus en pointe de la médecine, ceci afin de protéger leur vie, tout comme celle de leur maman de neuf ans ? Au moment où éclate l’affaire, l’état de santé de la fillette enceinte de quatre mois n’est pas inquiétant aux dires des premiers médecins en charge du dossier. On aurait très bien pu lui offrir un accompagnement médical et gynécologique compétent pour suivre efficacement sa physiologie, surveiller sa grossesse, préparer au mieux la maturité pulmonaire des deux jumeaux jusqu’à ce qu’une équipe pluridisciplinaire juge que leur viabilité autorise une extraction par césarienne.

    (...) Sauver les trois vies sans opérer de discrimination entre elles, c’est exactement ce qu’a tenté de faire l’archevêque de Recife, Mgr Jose Cardoso Sobrinho (...) On retiendra de cette affaire que vouloir le bien n’implique à aucun moment de choisir le mal, le principe de sauvegarde de la vie humaine pouvant être appréhendé de manière suffisamment dynamique et intelligente pour que l’antique vertu de prudence ou sagesse pratique parvienne à l’incarner concrètement dans les situations les plus douloureuses et les plus complexes."