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Un homme affable II.6

Publié le 27 juin 2009 par Sophielucide

Nous avions décidé de n’aborder l’affaire qu’à la fin du repas mais bien évidemment nous rompîmes rapidement cette louable intention, en convenant qu’il fallait autant se borner à cette relation semi professionnelle qui instaurait une sorte de jeu entre nous. Résoudre une énigme, poser des hypothèses, mélanger les combinaisons, c’est ce qui avait bâti une relation nouvelle, originale, que nous n’étions pas encore prêt à échanger contre ce que nous connaissions déjà par cœur. Les relations hommes-femmes n’offrent pas d’autres possibilités que l’amour par trop sacralisé ou l’amitié autant surestimée.   Etions –nous si curieux de la vie de l’autre, après tout ? Nous en partagions les contraintes et aléas en vivant dans cette société qui imposait ses lois : rapidité, efficacité, et puis finalement, entre bénéfices et pertes collatérales, on arrivait tant bien que mal à maintenir la tête hors de l’eau. Il nous arrivait bien sûr de prendre de larges goulées d’air frais, qu’il faudrait faire durer, dont il faudrait se souvenir. Voilà où nous en étions, même si j’espérais que Fabien s’en sorte un  peu mieux.

C’est encore Charles dont il souhaita parler. Cet amant que j’avais pris lorsqu’Arnaud m’avait trompé. « Je sais, c’est terriblement bourgeois comme attitude, mais c’est toujours mieux qu’une dépression.  J’ai apprécié qu’il soit marié ; nous nous voyions une à deux fois par semaine et c’était très bien ainsi. Cela aurait pu durer, je suppose, s’il ne me parlait sans cesse de ses femmes. Il m’imposait ce non-choix que je ne lui demandais pas du reste.  Selon lui, je représentais une sorte de pont entre elles, l’immortalité d’un seul et unique amour. Je n’ai jamais vraiment cherché à comprendre, mais s’il a tenu le même discours à Clotilde, aussi abscons que poétique parfois, avec de belles envolées lyriques, je reconnais, alors je comprends qu’elle en ait été émue. Il était très émouvant aussi, par moments…
-    Alors, tu vis seule depuis ?
-    Arnaud est revenu, puis reparti au bout de quelques mois. Cela fera un an que je vis seule, comme une grande. Et toi ?
-    Tout seul aussi. Mais j’ai quelqu’un. Simplement nous ne vivons pas ensemble, c’est mieux comme ça.
-    Oui, je crois aussi que c’est un bon choix ; même s’il n’est pas plus satisfaisant, les dégâts sont moins redoutables. »

Je m’étais sentie bêtement soulagée en apprenant qu’il était « lié » ou engagé ; quelque soit le mot, il est toujours très laid. Et je me demandais si en dehors du temps, les vocables choisis ne remplissaient pas également une large part dans l’érosion de l’amour.  Nous nous posions plus ou moins les mêmes questions sur ces foutus clichés rebattus sur l’amour exclusif, passionné, ce graal que tout le monde cherche éperdument mais qui, il fallait bien l’admettre, ne satisfait jamais. L’homme était-il vraiment ce mammifère censé vivre en couple, à la seule fin de fonder une famille ? Nous nous accordions pour penser qu’il n’en était rien et qu’il suffisait de l’admettre, simplement, humblement pour cesser de souffrir sans raison. Mais, conclut Fabien en nous servant de ce vin qui déliait si bien les langues, n’était-ce pas cela qui rendait l’homme addict ? Cette souffrance qui nous rend plus vivant ? Fallait-il chercher autant de preuves stériles à une existence inutile ?
« Tu as le vin triste, ce soir, on dirait. Je te ramène chez toi. »


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