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Un homme affable II.7

Publié le 27 juin 2009 par Sophielucide

J’aime bien regarder un homme conduire, contempler un profil concentré ; j’ai lutté un instant contre ce désir enfantin de poser ma main sur sa nuque, mais c’était encore me rappeler des souvenirs idiots, toujours recommencés.  Au lieu de me soumettre à cette habitude saugrenue, je la  lui ai racontée. Cela l’a fait sourire, et ça m’a fait plaisir. Encore une de mes faiblesses : faire rire ou bien sourire, quelle meilleure récompense exclusivement humaine, non ? Cette fois, il a rigolé franchement en me demandant s’il m’arrivait de ne penser à rien, si je savais m’empêcher d’observer, d’analyser. J’ai ri à  mon tour car justement il me semblait manquer de recul face à mes congénères ; je me laissais facilement aller aux pires raccourcis, aux idées arrêtées ou aux feelings trompeurs. Je parlais trop, ne réfléchissais pas assez justement.  J’avais pensé qu’avec l’âge, je modérerai ce comportement puéril mais il fallait bien que j’admette que c’était exactement le contraire qui se produisait. Et j’ajoutai qu’il n’était encore qu’un gamin, même s’il me semblait plus sage, plus modéré que moi.  Dès lors qu’on prend conscience du temps qui passe, et qu’on décide de cavaler pour le rattraper, on est foutu. J’étais foutue, donc mais ne souhaitais pas pour autant faire des émules.  Longtemps, j’avais benoîtement pensé que lorsque je serai une véritable petite vieille aux cheveux blancs, j’aurais alors tout le temps, installée dans un rocking-chair sur une terrasse face à la mer, de méditer pour acquérir enfin, juste avant de mourir cette sagesse qui me faisait envie. Maintenant que justement, j’en avais de ces foutus cheveux blancs, je savais que je n’en finirai jamais de repousser cette échéance fatale, que je ne me considérais vieille qu’à la veille du grand soir. C’était désespérant et comique à la fois.

Nous sommes restés un moment encore dans sa voiture, à parler de ces choses illusoires dont on ne faisait jamais le tour. Fabien m’a demandé ce qu’à mon avis Clotilde lui confierait le lendemain. Il avait confiance en ma préscience toute féminine et appréhendait de mal recevoir le choc qui l’attendait.
«  A mon avis, elle ne sait rien de ses origines. Elle n’a fait qu’effleurer une vérité trop aveuglante pour paraître crédible. C’est à toi de la préparer doucement à ça, sois comme d’habitude, elle a enfin pigé à qui elle a affaire.
-    C’est bien gentil tout ça, mais c’est elle qui m’a dit qu’elle allait « tout » me dire. Tout, c’est toujours trop, non ?
-    Elle parle du meurtre. Elle va te raconter comment ça s’est passé. La rencontre, la soirée, la nuit, jusqu’au matin où elle a décroché le téléphone pour appeler la police. C’est de ça qu’il s’agit, j’en suis à peu près sûre.
-    Je vais devoir lui soumettre le test ADN ; c’est ça aussi que j’appréhende.
-    Elle n’est pas idiote, elle comprendra.
-    Justement, c’est exactement ce que je redoute. »
On s’est fait la bise et il n’a démarré qu’une fois que la porte délivre le petit clic pour que je la pousse. Je lui ai fait un petit signe auquel il a répondu par un appel de phare. Lorsque je me suis couchée, j’ai réalisé que sa pensée ne m’avait toujours pas quittée tandis qu’ignorant l’ascenseur j’avais gravi à pied et sans m’en rendre compte les six étages qui menaient chez moi. Je n’étais décidément qu’une incorrigible midinette et je crois que c’est sur cette dernière pensée débile que je me suis endormie.


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