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Michael Jackson et le développement durable

Publié le 27 juin 2009 par Memoiredeurope @echternach

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« Septembre 1977 : que se passait-il d’autre sur la planète ? J’étais à Venise, sur un pont enjambant l’eau noire d’un canal, lorsque, par-dessus l’épaule d’un passant, je lus la nouvelle à la Une du quotidien vénitien Gazzettino. « E morta la Callas ». La mort mise en avant : inversion à l’italienne. Ici parfaitement justifiée. Morta ! Il me sembla que tout le monde s’était arrêté. Morte, celle qui nous avait révélé non seulement le beau chant, il bel canto, mais l’essence de la tragédie ! Morte, celle qui, même quand elle ne chantait pas, comme dans le film Médée, de Pasolini, s’imposait avec l’autorité d’une antique princesse grecque. » écrit Dominique Fernandez vingt années plus tard.

C’était un matin d’octobre 1978. Tous les étudiants avaient rejoint le car qui stationnait rue Jussieu depuis déjà un moment. Pour la plupart il s’agissait pratiquement du premier cours universitaire : une excursion botanique à Fontainebleau où je les emmenais. La radio a annoncé la mort de Jacques Brel. Le silence s’est fait pour longtemps parmi ces jeunes gens tout juste majeurs.

C’était un soir un peu brumeux vers la fin du mois d’octobre 1981. Je conduisais le long de la Loire pour rejoindre ma famille déjà partie pour les quelques jours de vacances de la Toussaint. J’ai entendu que Georges Brassens nous avait quitté. Je savais qu’il rejoindrait Sète. Ce soir là, ma peine est restée solitaire devant les feuilles d’or des vignobles.

Je ne sais pas si toutes les disparitions de chanteurs s’égalent. Mais de ces trois disparus là, je voulais citer les noms, car leurs voix, aujourd’hui toujours, passent sur mon épiderme en le faisant frissonner.

Il était une heure du matin lorsque ma mauvaise radio m’a fait savoir que dans l’après-midi de Los Angeles on venait d’apprendre la mort d’un enfant. Il avait cinquante ans ! Et puis, comme cela arrive régulièrement à Echternach, l’électricité a sauté. Comme si la nouvelle devait déclancher un incident énergétique planétaire qui atteignait même ma vallée perdue.C’est donc uniquement le lendemain que j’ai dû subir, même en prenant des précautions, le martèlement en toutes les langues, d’une douleur qui paraissait mondiale.

Sans doute suis-je passé de manière très marginale à côté de la voix du chanteur américain. Probablement est-ce que j’ai aperçu par moment son corps de danseur de claquette. Mais je m’aperçois aujourd’hui que je serais bien en peine de chanter quoi que ce fut qui vienne de sa voix et que je n’ai de lui, pour me figurer son être, son existence, que des images un peu curieuses d’un symbole extraterrestre et pourtant global.

Maria Callas est morte de désespoir : celui d’être dépassée par sa légende, trahie par celui qu’elle a aimé, ami à la fin de sa vie d’un cinéaste qui n’aimait pas les femmes, suivie et écrasée par une voix qui était devenue plus grande qu’elle.

Les deux chanteurs poètes ont du subir la décision de leurs corps et accompagner jusqu’au bout la douleur qui les a conduits par la main vers l’adieu.

Mais je ne sais que dire du chanteur américain. Mort d’épuisement ? Mort d’exploitation intensive ? Mort de célébrité ? Mort de mondialisation ?Ce sont des mots planétaires qui me viennent. Comment pourrait-il en être autrement quand j’écoute ce qui se dit de la circulation des messages dans tous les tuyaux qui relient aujourd’hui chacun à l’autre, s’il le veut. Des mots qui concernent une marchandise, aujourd’hui épuisée !  

Je lis dans Le Monde, cette opinion que je trouve juste : « Les industries culturelles apprennent chaque jour à se passer des superstars. Mais, parce que nombre d’entre elles – Mick Jagger, Madonna, Will Smith…- survivent et prospèrent, parce que la frontière entre étoile et célébrité reste floue, la planète ne s’est pas encore rendu compte qu’il s’agissait d’une espèce en voie de disparition, dont Michael Jackson fut le dernier spécimen à apparaître, il y a déjà, seulement, trente ans. »

Alors je crois bien comprendre que ce Jackson là restera le symbole, non de ce qu’il a produit, mais du système qui l’a produit, qui l’a industrialisé, l’a mâché puis recraché hier. Il est là, vidé de sa substance et de ses rêves et empli de tous les substituts physiques et chimiques qui l’avaient aidé à remplir le contrat de production passé semble-t-il avec les habitants de la planète terre.

Gilles Clément qui, décidément, ne me quitte pas ces jours-ci, écrit « Il n’est pas sûr que le dommage écologique des chasses privées où le gibier abonde soit supérieur à celui des petites chasses isolées. Dans tous les cas, les animaux proviennent de l’élevage. Leur fonction dans l’écosystème est nulle. Seules les espèces libres – sédentaires ou nomades – jouent un rôle significatif dans les rapports de prédation, donc d’équilibre…Aux cadavres animaux, on pourrait substituer ceux d’humains, sans que cela paraisse extravagant. » En effet !

Devant le corps du gibier humain mort à Los Angeles, la ville des anges, que l’on se dépêche de faire disparaître sous les mots et les bougies pour éviter de le voir vraiment, Brassens dit tout bas : 

«  Et puis, coup de théâtre, quand

Le temps aura levé le camp

Estimant que la farce est jouée

Moi tout heureux, tout enjoué

Je m’exhumerai du caveau

Pour saluer sous les bravos

Ce n’est pas la veille, bon Dieu

De mes adieux. »

Photographie : Maria Callas dans le rôle de Médée de Pasolini. 


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