*Comme l'a chanté GEORGES BRASSENS: ♫♪Quand on est con, on est con!♫♪
Et l'âge ne change rien à l'affaire!
Les faits remontent au début de ma sclérose en plaques, autour de 2000. Je fais mes courses (CLIC autre anecdote, faire ses courses en fauteuil!) dans mon supermarché de quartier, accessible, et rencontre avec bonheur mes voisins. Au rayon frais, j'attrape des yaourts pour en vérifier le prix. Voilà que surgissent de derrière moi deux mains brunes et ridées pour m'arracher les yaourts (gloups!) avant de me les remettre entre les mains (tout ça pour ça?) genre je te brise les doigts au passage! Puis, les reprendre et les jeter (ouille!) dans mon caddy! Je tourne mes roues pour dévisager le malotru et le tancer, et me voilà face à une (!) malotruE, une mamie à l'air ronchon, faux sourire sur les lèvres. Ses paroles sont d'ailleurs assorties au geste: "Ô mon dieu, que c'est horrible, si jeune et en fauteuil roulant, heureusement que j'étais là pour vous aider {ah bon? En m'arrachant mes yaourts?} ! Moi au moins je ne suis pas handicapée malgré mon âge! Je marche encore très bien! Et vous vous êtes encore si jeuneeeeeee, mon dieu, c'est affreux!!! Moi je ne le supporterais pas!"
J'ai écarquillé les yeux, hallucinée! Et répondu à la mamie: "Merci, je sais que ça part d'une bonne intention, mais je n'avais pas besoin d'aide, là. Je vais d'ailleurs remettre cet article en place, il est trop cher. Lorsque j'aurai besoin d'un coup de main, je n'hésiterai pas à demander. Vous savez, c'est important de faire le maximum de choses seul quand on est handicapé, sinon les muscles fondent, et après on ne peut plus rien faire. Il est donc capital que je fasse cela seule pour rester autonome le plus longtemps possible! Les courses sont un plaisir pour moi, car je rencontre mes voisins. Ca fait partie de ma vie sociale." Elle a froncé les sourcils, victime du regard de sa génération sur le handicap.
Et la voilà qui appelle sa cop's (son amie, également mémé casse-couilles de profession) qui arrive à la rescousse, des poireaux débordant de son panier (et d'autres poireaux plus disgrâcieux débordant de ses narines), toute frémissante d'excitation à ma vue (je devais être leur joujou prévu pour passer le temps) et se range de son avis, et vas-y que je t'enfonce, que je piétine ta dignité, ton âme... Sauf que...
Avec moi, elles sont tombées sur un sacré morceau. Ben vi. Faut pas me chercher quand on est con. Je suis une débouteuse professionnelle de concons!
Je leur ai donc coupé la parole: "Excusez-moi, mesdames, mais j'ai des courses à faire, je rentre du boulot, là, et je suis fatiguée. Alors vous voudrez bien, à l'avenir, ne pas m'arracher des mains les aliments que je prends dans le rayon, sinon je vais me fâcher et commencer à faire la liste de vos bobos qui eux se voient aussi à l'oeil nu! Vu?"
Regards outrés, vexés, puis furieux. Et vas-y que je continue à casser @DY, mais en dialecte régional, à voix haute toutefois, et le mot "handicapé" lui, est le même en dialecte... Ravie (je suis dialectophone, l'ai même parlé avant le français avant que mes parents y ajoutent, à 3 ans, le français et l'allemand), je m'adresse aux indélicates harpies: -en dialecte parfait mouhahaha- "Eh bien! Insolentes en plus! Mal élevées, les miss, bouh! Je travaille avec des jeunes de quartier qui sont mieux éduqués que vous, mesdames, et qui n'ont pas de préjugés comme vous vis à vis du handicap! Vous devriez avoir honte!". Là, ébahies, pâles, elles s'éloignent, enfin.
La langue de vipère aux poireaux, c'est une mamie aigrie qui a 3 chiens (les pauvres) qu'elle ne sait pas promener, elle ne leur a pas appris le caniveau (ni le canisite qui est à 2 pas de son entrée, elle n'y va jamais), alors les toutous propagent leur caca sur toute la largeur du trottoir. Je vous laisse imaginer ce que ça donne quand je dois passer en fauteuil roulant...
Un jour, les 2 miss casse-couilles blâmaient un jeune qui avait jeté un papier par terre (mais sans lui dire en face, alors que je l'ai fait, moi, avec un sourire mais d'une vois ferme, et il a ramassé, avec un sourire aussi), le traitant de "crade", je leur ai fait remarquer qu'elles étaient championnes du titre grâce aux 3 crottes par jour au milieu du trottoir et que je désirais qu'elles les ramassent. Elles ont fui. Bon, au moins, j'ai la paix.
Si on analyse l'attitude de la mamie "fausse aide aux courses", cette femme ne m'a pas aidée (je n'étais pas en situation d'avoir besoin d'aide, quand c'est le cas j'appelle quelqu'un, par exemple quand l'article est placé trop haut, or là, il était au niveau de mon ventre, on ne peut pas faire mieux!); elle s'est aidée ELLE, elle s'est rassurée, trop contente de voir qu'il y avait plus abîmé qu'elle. Si vous aviez vu ses yeux quand elle m'a dit que j'étais dans un état grave et qu'elle était contente de marcher, elle! Ca pétillait! Elle s'est identifiée, a eu peur, et pour se rassurer, a fait sa "B.A." qui n'en était pas une. En intervenant sans qu'il y ait besoin, elle me signalait que je ne savais rien faire, que j'étais forcément malhabile, incapable. Elle préjugeait. Et les gens qui ont des préjugés ont besoin d'être informés, éduqués. Parfois avec fermeté.
Les conséquences de ce genre de comportement inacceptable et intolérant, les voici: le destin de mon ancien voisin de quartier handi. Lui aussi croisait la "mamie aidante" aux courses. Lui aussi a été aidé alors qu'il était heureux de se débrouiller comme tout le monde. Lui aussi a été infantilisé. Et il a entendu pire que moi, le jour où tous les 2 nous faisions nos courses: la fameuse mamie flanquée de mémé poireaux aussi commère qu'elle: "Mon dieu, quelle misère, le pauvre, si jeune, si c'est pas malheureux! L'autre là, elle peut bouger son fauteuil toute seule au moins {moi!}, mais lui c'est pire! Et il est plus jeune qu'elle. Mais qu'est-ce qu'ils font donc dans un magasin? Personne ne peut faire ça pour eux? C'est terrible! Moi, je ne pourrais pas vivre comme ça... Et dans son état il n'aura jamais de copine, quelle femme voudrait d'un handicapé..." Et tout ça devant nous!
Ben le gars, ça, il l'a bien capté. Contrairement à moi, il n'a pas rouspété. Il a laissé faire, dire. Vous pensez que c'est la bonne solution, qu'il faut "laisser glisser"? Voyons la suite...
Quelques mois plus tard, tentative de suicide qui l'a laissé légume
et handi mental maintenant, vu qu'il a pris des médocs en overdose qui lui ont bazardé le cerveau et quelques organes...Un gars qui avait son appart, des professionnels pour l'aider à vivre à domicile, une famille ultra présente et aimante qui l'emmenait en Guadeloupe où, malgré sa tétraplégie, il a fait de la plongée, du bateau etc... Et pourtant, toutes ces choses positives ont été anéanties par un acharnement quotidien de chipies toxiques!
Je m'étonnais de ne plus le voir au magasin, ni dehors, avais demandé des nouvelles à mon transporteur qui m'avait dit "T'inquiète, il vit très bien son handicap!" alors que je démentais... J'avais, hélas, raison...
Cruelles, monstrueuses mamies!
Au lieu d'être souriantes, encourageantes, positives, constructives: "Besoin d'un coup de main? Non? D'accord. Mais vous vous débrouillez très bien, je suis bête, ça se voit. Bonne journée" Au lieu de se réjouir, de comprendre qu'on a passé des mois en centre pour être autonomes justement! Qu'on a réussi. Qu'on est trop contents de faire nos courses, de sortir, de se mêler aux autres, de voir du monde! Au lieu de nous valoriser, on nous rabaisse.
Au supermarché, l'autre jour, un type a proposé son aide pour attraper une boîte haut placée... à une femme qui n'atteignait pas le rayon. Moi, il m'a souri en voyant que j'attrapais mes légumes avec mon saucisson, super perche "système D"! Je n'avais pas BESOIN de son aide, même si j'étais handi! La dame valide, elle, oui! Voilà ce que nous voulons: une aide normale, pas une commisération qui nous rabaisse. Pas de propos blessants qui nous humilient. Alors je m'amuse, lorsque l'une des mémés sorcières n'arrive pas à attraper une boîte, je la cueille, je la mets de force dans le panier avec les poireaux et j'entends crier "Arrêtez, MOI je n'ai pas besoin d'aide, MOI je ne suis pas handicapée! Vous êtes insolente!" Héhé, tombée les 2 pieds dedans, comme prévu. Je rétorque: "Ah bon, quand c'est vous qui le faites, c'est une bonne action, et quand c'est moi, c'est insolent? Réfléchissez un peu... Demandez-vous donc pourquoi cela vous a vexée."
Dernière remarque:
j'ai été élevée dans le respect des différences. Enfant, je connaissais des handicapés (de guerre, amputés de bras, jambe, gueule cassée) et même une voisine atteinte de SEP. (CLIC article voisine) Mon regard a donc été, très vite, celui de la "normalité différente", comme une personne de couleur ou très grosse, très maigre, est différente, mais humaine, donc normale, acceptée. (merci papa, merci maman pour cette éducation! Paix à vos âmes) Enfant, déjà, au moment de traverser la route, à côté d'un handi, d'une maman avec poussette, d'un type trop chargé, ou d'une personne âgée, je regardais de biais (vision périphérique) pour suivre discrètement les gestes de la personne. Si elle n'avait pas besoin d'aide, je ne proposais rien. Seulement quand ça coinçait, et je n'imposais pas. Je proposais: "Un coup de main?" sur un ton naturel.
Le regard sur les handicapés doit changer. Mon blog se veut un repère et une aide dans ce sens. L'humour et l'auto-dérision y règnent. Je brise les tabous qui nous enchaînent plus gravement qu'aucun fauteuil! Il faut démolir une fois pour toutes l'image du handi qui est forcément malheureux, forcément aigri, qui fait la gueule, pleure tout le temps, râle tout le temps, est un boulet et coûte du fric sans rien fiche.
Pour avoir été 6 mois en centre de rééducation fonctionnelle avec d'autres handis non SEP (tentatives de suicide ratées, maladies, accidentés de la route ou de plongeon, erreurs médicales graves...) qui comme moi y apprenaient l'autonomie, je peux dire que le handi est avant tout une personne que sa condition ne condamne pas à être triste à plein temps, à ne pas rigoler, ne pas faire l'andouille, comme un valide! Qu'on se le dise!
*première parution 24 mai 2007*