Le marquis de Kougnonbaf 9

Publié le 28 juin 2009 par Lilianof

Scène IV

ÉVA – KOUGNONBAF – BIFENBAF

BIFENBAF

Marquis, c’est une honte, votre presse est en train d’éclabousser Lynda de calomnies injurieuses.

KOUGNONBAF

Ma presse, dites-vous ?

BIFENBAF

Regardez-moi ce titre, à la une d’Arklow Match.

KOUGNONBAF

 « Lynda fréquente les dealers. »

BIFENBAF

Dis-leur de se taire !

KOUGNONBAF

Ils exagèrent.

ÉVA

Ottokar, j’espère que tu as une explication.

KOUGNONBAF

Je n’ai jamais validé la publication de cet article. C’est de la diffamation pure et simple. Il y des têtes qui vont tomber, chez Kougnonbaf-Presse.

BIFENBAF

Tu sais ce que fera Lynda quand elle sera de retour ? Elle va prendre tous tes torchons de papier, elle en fera une grosse boule d’un mètre de diamètre qu’elle t’enfoncera dans la gorge.

ÉVA

Je ne puis en supporter davantage. Pardonnez-moi, Messieurs, mais je préfère prendre congé.

Scène V

KOUGNONBAF – BIFENBAF

BIFENBAF

J’ai froissé ton journal et tu as froissé ta fiancée.

KOUGNONBAF

Je n’ai pas le choix, cela fait partie de mon plan.

BIFENBAF

Je n’ai jamais approuvé ton plan. Fallait-il pointer toute cette artillerie ? Non mais, regarde-moi ces titres : « La descente aux enfers de Lynda », « Lynda la débauchée », « la vie sulfureuse de Lynda », « La déchéance d’une reine. »

KOUGNONBAF

Votre chérie ne s’en relèvera pas.

BIFENBAF

Vous pouvez le dire ! « Syldurie-Soir » a publié l’évolution de sa cote d’amour : douze pour cent d’opinions favorables, contre quatre-vingt-six la semaine dernière.

KOUGNONBAF

Ma foi, je connais un autre petit roi que cela devrait consoler.

BIFENBAF

En revanche, la cote d’Éva crève le ciel. Le peuple va certainement la proclamer reine. Vous avez bien raison de vouloir l’épouser.

KOUGNONBAF

Je n’épouserai jamais cette grosse cloche en si bémol.

BIFENBAF

Comme il vous plaira. Il faut reconnaître que, pendant que sa sœur défraie la chronique, votre fiancée…

KOUGNONBAF

Cessez de dire : « Ma fiancée ». Ça m’agace. C’est un mariage de raison. Quand je serai au pouvoir, j’appliquerai la méthode Henri VIII : D’abord je la tue, ensuite je la répudie.

BIFENBAF

Donc, votre fiancée travaille de ses dix doigts. Elle a commencé à construire des villages écologiques et arborisés, et à détruire les favelles qui font la honte de notre capitale. Elle dépense allégrement, la petite, sans craindre de plumer l’état.

KOUGNONBAF

L’état, c’est moi.

BIFENBAF

Mais revenons à Lynda, cher Marquis. Je ne tiens pas particulièrement à ce que vous fassiez une crise d’apoplexie en regardant le journal de vingt heures. Edition spéciale : « La mort de Lynda. »

BIFENBAF

Quoi ?

KOUGNONBAF

Mais rassurez-vous, mon ami, « Kougnonbaf-Presse » sait très bien manipuler le mensonge. Je suis impatient qu’elle meure, car plus vite elle mourra, plus vite j’accéderai au pouvoir. Alors, en attendant, je l’assassine médiatiquement.

BIFENBAF

Vous m’avez fait peur.

KOUGNONBAF

Elvire, notre chasseresse, est parvenue à traquer notre gibier jusqu’au plus profond de son terrier. À présent, elle la tient à portée de son fusil, mais, eu égard de notre vielle amitié, je lui ai donné pour consigne de lui laisser la vie. Offrez à notre Elvire un petit cadeau dont elle vous fixera elle-même le prix, et elle vous livrera, pieds et mains liés, l’objet de votre convoitise.

BIFENBAF

Marquis de Kougnonbaf, vous êtes un génie.

KOUGNONBAF

Je le sais, je me le suis déjà dit.

BIFENBAF

Vous êtes le roi des filous.

KOUGNONBAF

En attendant mieux.

BIFENBAF

La victoire est à nous, Marquis.

KOUGNONBAF

Alors il faut la fêter.

BIFENBAF

Avec quoi, Marquis ?

KOUGNONBAF

Mais avec du champagne ! Je crois savoir que le vieux avait toujours quelques bonnes bouteilles en réserve. Tenez, la bibliothèque, derrière ces rayons, il y a un bar.

(Bifenbaf fait pivoter une partie de la bibliothèque, découvrant un bar.)

BIFENBAF

Le vieux coquin !

(Bifenbaf apporte une bouteille et deux flûtes, et s’apprête à servir.)

KOUGNONBAF

Voyons ! Quel cru prestigieux nous avez-vous déniché : Reims ou Épernay ?

(Il regarde l’étiquette.)

« Mousseux de la Maritza ».

BIFENBAF

J’avais oublié les royales restrictions budgétaires.

KOUGNONBAF

Au moins, cela encourage le marché des produits nationaux. À défaut de la Marne, contentons-nous de la Maritza.

BIFENBAF

Krieg ist krieg.

(Ils se versent à boire.)

KOUGNONBAF

À la santé de la Syldurie.

BIFENBAF

Vive la Syldurie !

KOUGNONBAF

Finalement, il n’est pas mauvais, ce mousseux de la Maritza.

BIFENBAF

Il est même très bon.

KOUGNONBAF

On s’en ressert un verre ?

BIFENBAF

Mais pourquoi pas ?

(Ils vident leur verre et se resservent, même jeu jusqu’à la fin de la scène.)

KOUGNONBAF

À la santé du roi.

BIFENBAF

Vive le roi.

KOUGNONBAF

À ta santé, Bifenbaf.

BIFENBAF

Vive Bifenbaf !

KOUGNONBAF

À la santé de ma fiancée.

BIFENBAF

Vive Éva ! Delavent. Eh ! eh ! eh ! Éva Delavent ! Elle est bonne !

KOUGNONBAF

À la santé de Sabine Mac Affrin, ma sorcière mal-aimée.

BIFENBAF

Vive Sabine ! J’aime sa trombine !

KOUGNONBAF

Quoi ? Déjà vide ?

BIFENBAF

On n’a même pas eu le temps d’y goûter.

KOUGNONBAF

Eh bien ? Bifenbaf, aller me chercher une autre bouteille de cet excellent Champaritza. Vous devriez déjà être revenu.

BIFENBAF

 « La Maritza c’est ma rivière, - Comme la Seine est la tienne… »

KOUGNONBAF

À la santé de Mademoiselle Vartanova.

BIFENBAF

Vive Sylvie Vartanova !

KOUGNONBAF

À qui le tour ? C’est qu’il faut la finir cette bouteille.

BIFENBAF

Oui, avant d’en entamer une autre.

KOUGNONBAF

À la France, et à son grand Président.

BIFENBAF

Oh ! grand Président, il ne faut tout de même pas exagérer. Vive la France !

KOUGNONBAF

À nos amours.

BIFENBAF

Oui, à nos amours. Je t’aime, mon petit Ottokar.

KOUGNONBAF

Moi aussi, mon petit Miroslav. Je t’aime.

BIFENBAF

Embrasse-moi, Ottokar !

KOUGNONBAF

Épouse-moi, Miroslav !

BIFENBAF

Ah ! Non ! Tu as déjà une fiancée.

KOUGNONBAF

Qui ? Éva ? Cette gourde ?

BIFENBAF

Éva la cruche !

KOUGNONBAF

Éva la godiche !

BIFENBAF

Éva la gudule !

KOUGNONBAF

Éva la majorée… mijaurée !

BIFENBAF

Éva nu-pieds !

KOUGNONBAF

Éva t’en coller une !

BIFENBAF

Oui, encore une. J’ai soif.

(Il va chercher une troisième bouteille.)

Pour qui celle-ci ?

KOUGNONBAF

Pour qui ? Je te le demande ! Pour Lynda !

BIFENBAF

Vive Lynda !

KOUGNONBAF

Lynda est morte.

BIFENBAF

Meurt Lynda.

KOUGNONBAF

Noyons notre chagrin dans les flots de la Maritza.

BIFENBAF

Elle ne nous embêtera plus.

KOUGNONBAF – BIFENBAF

 « Elle ne mettra plus de l’eau dedans mon verre – la guenon, la poison, elle est mo-o-rte. »

(La porte s’ouvre discrètement. Lynda apparaît à l’insu des deux buveurs.)