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Un homme affable II.8

Publié le 29 juin 2009 par Sophielucide

Je passai la journée du lendemain à écrire les piges habituelles commandées par les mêmes magazines qui n’en finissaient jamais de deviser sur les kilos à perdre, le teint halé à atteindre, les techniques de séduction à maîtriser. Tout cela me filait le bourdon. J’avais passé la nuit à m’agiter dans mon lit, tenaillée par une seule et même idée, que pour la première fois peut-être je pensais pouvoir mener à terme. Obligée d’abandonner l’idée d’écrire cette fameuse chronique judiciaire qui me tenait à cœur, parce que j’étais moi-même témoin dans le procès, je me décidai enfin, au petit jour, à trouver une parade. J’allais l’écrire sous la forme d’un roman dont les ingrédients ne cessaient de s’ajouter au fur et à mesure, se mélangeant souvent, nous plaçant, nous autres spectateurs  dans une sorte de malaise crée par la proximité ressentie avec chacun des témoins. Cette histoire glauque illustrait bien ce début de vingt et unième siècle décadent. Le virtuel prenait petit à petit le pas sur le réel, l’ignorer n’avait plus aucun sens.

Les quelques membres du site Internet sur lequel Charles, Clotilde et Monique officiaient, en avaient tous parlé à Fabien qui me l’avait rapporté : au début, c’est l’euphorie qui régit cet épiphénomène. Ecrire peut s’apparenter pour certains à un acte jubilatoire, trouver des lecteurs qui apprécient  vos textes.  Se crée alors, à votre corps défendant une dépendance liée au temps passé sur le site, à lire d’autres productions, comparer ses préoccupations, commenter les écrits de vos propres lecteurs. Puis vient l’aliénation, pure et simple qui régit ce petit microcosme jusqu’à interférer dans la vie intime de ses membres qui n’hésitent plus à se laisser aller aux confidences ou autres états d’âme de plus ou moins bon goût.  Ils avaient également évoqué le manque de recul face à ce médium qui bouleversait jusqu’à leur quotidien ; se perdre dans le virtuel est un danger commun, dont on ne prend la mesure que trop tard.

Créer un double parfait, un clone dont on aurait effacé les défauts encombrants reste un fantasme tentant ; docteur Jeckill et mister Hyde, qui n’en a rêvé au moins une fois dans sa vie ? C’est, je le pensais du moins, le point de départ de ce vertige à portée de chacun. Protégé derrière un écran, les risques sont limités, c’est ce que l’on croit jusqu’à ce que l’on prenne conscience qu’on ne lutte pas si facilement contre sa propre nature. Ceux qui avaient fait le choix, délibéré ou non, de se livrer en payaient tous un prix bien plus exorbitant qu’ils ne l’avaient envisagé. C’est ce qui m’intéressait dans cette histoire.  Bien sûr, Clotilde avait atteint un paroxysme en la matièremais en avait-elle pris réellement conscience, elle qui semblait si détachée d’un histoire qu’on ne cessait de lui conter mais dont elle s’absentait régulièrement, jusqu’à ce dernier jour où Monique Massier s’était révélée cette Louve Solitaire au pouvoir sans doute plus néfaste qu’elle ne l’avait elle-même imaginé.

Je passais ainsi la journée chez moi, dans un état vaseux, passant du lit à mon ordinateur ou la cuisine, dans l’attente du retour de Fabien du parloir. J’envisageais différents scénarios allant de la vengeance pure et simple à la manipulation la plus sordide.  Je ne me satisfaisais  pas du rôle ingrat joué  auprès de ce jeune avocat un peu trop mignon. J’avais une furieuse envie, de tenir un rôle plus actif que le lancer sur des pistes improbables et je m’interrogeais maintenant sur cette utilité dont je ne savais me passer auprès des hommes. Lorsqu’il arriva, en fin de journée, je me ruai littéralement vers lui et j’aurais sans doute pu succomber sur le champ s’il n’avait affiché une mine épouvantable,  bouleversée.

FIN DU CHAPITRE 2.


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