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Un homme affable III.3

Publié le 30 juin 2009 par Sophielucide

Fabien coupa l’appareil et la voix rauque de Clotilde résonna encore un instant. Il en savait plus, cela se lisait sur son visage et ce petit jeu de devinettes entre nous reprit de plus belle.
« - Alors ? »
Alors quoi ? Je n’avais aucune envie d’être suspendue à ses lèvres ou lui faire entendre ce qu’il attendait. Il y a des habitudes qu’il faut savoir rompre à temps avant que ne s’installe l’énorme contresens de la compréhension réciproque. Je n’y ai jamais cru ; s’il existe bien parfois une forme de connexion intime, elle est toujours fortuite, construite sur un malentendu ; de ça j’étais convaincue et je n’avais aucune envie de poser mon petit caillou réconfortant dans le jardin de ce garçon. J’avais décelé chez lui quelque chose d’indéfini qui m’attirait énormément ; nul besoin de me voiler la face. Il avait ce côté sauvage ou hermétique qui pousse l’autre à repousser ses limites, à chercher un peu plus loin. C’était excitant bien sûr mais en même temps rédhibitoire. Au fond, il ne m’avait jamais dit lui-même ce qu’il pensait de cette affaire ; il me rapportait les faits bruts de décoffrage, me posait des questions, poursuivait son enquête et si la  neutralité  dans son analyse m’avait convaincue au début, elle commençait doucement de m’exaspérer.

La vérité, c’est que j’étais à cran, je luttai vainement contre le désir un peu puéril de me jeter sur lui, d’embrasser ses lèvres un peu trop charnues et goûter ses baisers, m’imprégner de son odeur. Tout cela me désolait, allait à l’encontre des résolutions que je bâtissais et ruinais au fur et à mesure.  S’il était possible encore de conserver une franche camaraderie entre homme et femme après acte sexuel, je n’aurais sans doute pas hésité mais je savais parfaitement que ce beau défi restait inatteignable. L’impossible quête que chantait Brel, se situait à ce niveau en ce qui me concernait et je devais bien me faire une raison. Il devait bien y avoir pourtant quelque part quelqu’un qui partage cette utopie : l’amour sans l’aliénation mortelle qu’il trimballe avec son cortège d’idées reçues, de clichés fatals, de gestes assassins, de prise de pouvoir insensé.

J’y étais presque arrivé avec Arnaud mais nous avions lamentablement échoué au virage délicat de la fornication accessoire. Il avait très mal pris ma compréhension à l’égard de sa faiblesse qu’il mit aussitôt au compte de ma propre duplicité. Si je lui pardonnais c’est que je ne l’aimais pas assez. Au jeu de l’amour, il s’agit d’aimer comme l’autre l’entend, alors, forcément c’est voué à l’échec.
«  Alors ? »
-   Arrête, Fabien et raconte-moi plutôt ta visite chez le notaire »
Il éclata de rire et moi avec lui. C’était déjà ça.
«  Le problème en amour c’est qu’on le prend bien trop au sérieux, tu ne crois pas ?
-   On ne rigole pas avec le sacré, là est le drame
-   Bon, raconte-moi sinon je crois que je vais faire une connerie, là… »
Il me fixa un moment, le sourire toujours accroché mais le regard un peu triste ; le contraste était assez déroutant à observer. Puis il alluma une cigarette et me fit le compte rendu de sa visite chez son confrère, le notaire, celui qui ne lisait pas les journaux, ne regardait pas la télé ni n’écoutait la radio. Une vraie caricature d’intello évoluant dans un bureau sombre et poussiéreux, rempli d’archives. «  Il n’a même pas d’ordinateur ! »


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