redécouvrir

Publié le 30 juin 2009 par Cecileportier
Il s'est assis de biais, l'air un peu las.
C'est à cause de son air las que je l'ai abordé, car moi même je le suis un peu, parfois, tant l'idée de collection ne me convient pas. N'avoir que cette motivation : ajouter une main au catalogue, serait détestable. Il faut qu'il y ait autre chose : dans l'art de la série, faire jouer les correspondances, les dissonnances. Mais pas l'accumulation pour elle-même.
Donc il était las et de biais, et du fait de ce double état ses mains se sont présentées dans une chorégraphie inédite : fatigué, il n'a pas fait l'effort de se réinstaller pour me faire face, et donc les mains ont dû prendre un peu de hauteur, un peu d'envol, pour être captées par l'appareil.
J'ai demandé ce qu'il avait à en dire.
Il les a regardé, il a dit "ça va".
Sous-entendu : "je ne m'en plains pas".
Il a poursuivi, avec quelque chose de lent dans la voix. "Les ongles sont un peu trop courts, parce que je les ronge, mais sinon ça va".
Ensuite il a passé un moment à les regarder, à les retourner, comme si c'était la première fois qu'il les remarquait là, au bout de ses propres bras. Il les regardait sans véritable surprise, mais avec un air intrigué, comme quand on retourne un objet dans tous les sens pour savoir à quoi ça peut bien servir, ou plus exactement, comme quand on retombe sur un objet rangé depuis longtemps au fond d'un placard, et qu'on mesure, dans l'écart qu'il y a entre l'étonnement et la reconnaissance, le temps écoulé.
De la main gauche il a caressé les veines saillantes de la main droite, puis il a dit :
"Elles commencent à vieillir." Puis il a ajouté : "Avec le bonhomme".
A ce moment, à ce moment précis où il a lié leur sort à celui du bonhomme tout entier, j'ai eu l'impression, sans doute immodeste, de lui avoir rendu ses mains. Qu'en tout cas, la propriété qu'il pouvait en avoir n'était plus seulement utilitaire.