Un homme affable III.4

Publié le 30 juin 2009 par Sophielucide

Cette fois-ci, je préparai une théière et m’installai confortablement dans le vieux  fauteuil qu’Arnaud n’avait pas pu emporter, vu qu’il ne passait pas la porte. J’avais passé du temps à me remémorer comment il avait pu atterrir ici avant de me souvenir que cet appartement appartenait à son grand-père dont il avait hérité.  Du coup, Arnaud avait enfin pu matérialiser un de ses fantasmes en devenant mon propriétaire et cette ultime ironie nous avait défendu de sombrer dans le pathétique, ce qui était réconfortant malgré tout.

Fabien possédait un réel talent de conteur et je l’écoutai, recroquevillée, dégustant mon thé ou fumant une cigarette sans bouder mon plaisir ; on se console comme on peut….
Il avait commencé par une description en règle du bureau du notaire qui embaumait la pipe écumoire que le vieil homme gardait en main.  Puis il me fit son portrait sans omettre  les détails allant de son costume bleu pétrole élimé, son nœud papillon de travers et ses charentaises ; le sexagénaire marchait voûté, mais ne développait pas le ventre rebondi propre aux hommes de son âge. Fabien s’attarda sur sa crinière blanche et majestueuse qui lui ferait défaut sans doute trop tôt. Ses petits yeux cernés se cachaient sous des verres si épais qu’il lui rappela Mister Magoo, allez savoir pourquoi.
Le notaire parla longuement de Mona, telle qu’il l’avait connue sur les bancs de l’école élémentaire dans le petit village lorrain où ils avaient grandi ensemble. Le passé lui semblait plus familier que le présent dont il se sentait chaque jour plus exclu. Il vivait reclus et la visite de son « jeune confrère » représentait pour lui l’occasion de parler du bon temps. Fabien avait le plus grand mal à le remettre sur les rails et le ramener à l’affaire qui les rassemblait. Mais le vieux notaire ne s’en laissait pas conter et menait l’entretien à sa guise, en prenant tout son temps.  Il semblait même, selon Fabien, prendre un malin plaisir à tester la patience de l’avocat et lorsqu’il cherchait un détail dans une mémoire dévastée (selon ses propres termes), il souriait avec délectation.

«  Je suis sûre que tu vas l’adorer, c’est un vrai personnage de roman »

Devant ma mine déconcertée, il imita le vieil homme en agitant son index « patience ! »  Le notaire avait donc revu Mona pour la dernière fois il y a vingt-deux ans de cela. Ils s’étaient perdus de vue après le lycée et ce qui le frappa au-delà de la beauté étrange de son amie, fut le désespoir qu’elle ne chercha pas à cacher. Sa visite fut brève, à peine dura-t-elle un quart d’heure. Elle lui avait remis une enveloppe brune ainsi qu’une clé à remettre à sa fille Emma dès qu’elle aurait atteint l’âge de vingt-deux ans. C’est tout ce qu’elle révéla, il n’en savait pas plus.
Lorsque Fabien avait tendu la main pour s’emparer des documents, le vieillard avait lancé un « tss, tss ; je dois remettre cette enveloppe en mains propres, Mona a insisté, il est de mon devoir d’agir dans les règles de mon art » L’avocat s’était récrié, arguant du fait qu’il était habilité à remplir ce rôle, insistant sur l’emprisonnement de sa cliente, mais il n’y eut rien à faire, qu’à organiser une rencontre au parloir.

«  Tu peux me dire pourquoi les parents changent systématiquement le prénom des enfants qu’ils adoptent ? Je trouve ça dégueulasse… »