Un homme affable IV.1

Publié le 02 juillet 2009 par Sophielucide


«  Emma,


Comme il m’aima…et c’est pour ça : Emma….


Je te tiens dans mes bras, tu es là, tu pleures. Tout le temps tu pleures, à ma place ? Moi, je n’ai plus de larmes : ce sont elles qui se sont métamorphosées dans le liquide amniotique où tu as baigné. Tu étais bien dans mon ventre ;  moi aussi…Nous étions un seul être, parfait, en osmose, j’aurai voulu passer ma vie avec ce gros ventre qui semblait me précéder, donc me légitimer, comment t’expliquer ça à toi, petit bébé ?


Alors, maintenant je sais. Je vais m’évaporer, je vais m’envoler, là, dans quelques heures, dès que j’aurai accompli  ma dernière tâche. CELA FAIT TROIS MOIS QUE J’Y PENSE, TOUT LE TEMPS ; je ne te reconnais pas et toi non plus, je le vois bien. Je suis une étrangère pour toi. Tout à l’heure encore tu as  souri à la voisine, je crois bien que c’était la première fois, mais ce ne fut pas à moi. Il t’arrive de sourire aux anges, comme on dit, quand ton petit ventre est repu, mais je sais bien que je n’y suis pour rien…………………………………….
POURQUOI TU PLEURES TOUT LE TEMPS ?


Voilà, je crois bien que j’ai trouvé le meilleur compromis. TU ME LE DIRAS ? Tu me feras un signe ? OU MOI ?
Tu liras cette lettre quand tu auras mon âge. Je ne serai plus ta mère, je ne l’aurais jamais été. PARDON ; je vais devenir ta sœur, tu veux bien ? Tu verras, nous allons bien nous entendre mais là tu es trop jeune pour comprendre, bientôt…..


Je vais tout te dire, parce que tu es mon double, mon être sublimé, la somme de deux êtres imparfaits mais qui se sont aimés. C’est ça qu’il faut que tu saches : TES PARENTS SE SONT AIMES A LA FOLIE, mais toi tu ne seras pas folle, promets-le moi ! Dis-le ! Tout de suite ! Merci…


Ton père est le seul homme que j’ai aimé, comment me résoudre à en choisir un autre, même si c’est pour t’élever ? C’est au dessus de mes forces, j’en suis incapable. JE LE HAIS. Il m’a trahie, il m’a trompée, il m’a détruite, il m’a construite, il a fait de moi sa chose inerte, celle que tu as devant les yeux et que tu n’aimes pas. Tu as ses yeux, tu sais ? Ce regard planté sur moi ; qui me juge, qui se moque, non je ne peux pas.


Emma, attends, je vais recommencer ; dans l’ordre. TOUT N’EST QUE CAHOS. Attends, je vais te calmer, et me calmer en même temps. J’ai été heureuse, tu sais, c’est pour ça que je n’y arrive pas. Parce que chaque jour, ça recommence, quand je me lève et que je réalise que j’ai encore rêvé, que tout ça n’est qu’une monstruosité ; ce n’est pas la solitude qui m’effraie, ne crois pas ça ; je voudrais que tu n’en aies jamais peur. Je voudrais que tu sois forte, comme ton père. Ne retiens rien de moi………..JE NE VAUX RIEN………………………………………


Je n’étais pas majeure quand je l’ai connu, lui, ce monstre que j’ai cru tout puissant. La première année passée avec lui restera  la plus belle de ma vie, à jamais. Tout ce qu’il me disait……….MON TALENT…………….Il était subjugué, c’est ce qu’il disait, moi je ne savais rien, je peignais parce que je n’avais pas le choix……….J’ en étais OBLIGÉE ; personne ne comprend ça ; ne touche jamais un pinceau de ta vie, fuis la matière, tout ça n’est que chimère qui conduit à l’enfer. IL ÉTAIT SI FIER ! et j’étais si heureuse ; je m’en foutais bien, moi, de mes toiles, je n’ai jamais pu savoir ………….SI ! JE MENS ! Pourquoi te mentir, à toi, mon enfant ? je le sais, ce que je fais est bon, je l’ai toujours su mais ça m’était égal. VOILA LA VÉRITÉ : je m’en contrefichais parce que ce n’était pas moi la véritable créatrice, je n’y étais pour rien, c’est ça qui me tue !


Attend ! je vais me reprendre ; tout est si difficile, comment te faire comprendre ? Je pensais vraiment être capable de mener avec toi une vie valable ; mais non, je dois bien admettre que je n’y arrive pas. Tu seras mieux ailleurs, qui sait ? Peut-être avec ton père ?

…/…