ACTE V
Même décor.
Scène première
LYNDA – ÉVA – MAMADOU – MOHAMMED
ÉVA
Je ne sais comment vous exprimer ma joie, les dernières maisons ont été achevées, et nous allons commencer à construire une école et des commerces de proximité.
LYNDA
Voilà qui est fort encourageant. Et vous, les garçons, où en est votre projet ?
MAMADOU
Grâce à ton aide, il avance très bien et dès demain, nous pourrons ouvrir notre boutique.
LYNDA
Voilà une bonne nouvelle ! Ainsi, Mohammed, tu t’es associé à ton ami dans cette belle entreprise.
MOHAMMED
Le temps de la faire démarrer. Le temps aussi de purger ma peine. Dans trois ans, je serai quitte et je repartirais certainement pour la France. Aïcha m’a envoyé une gentille lettre. Elle vient de commencer un nouveau travail social en banlieue parisienne, et elle apprécierait que je vienne l’aider. Je crois que je vais répondre à son appel. Je l’aime bien, Aïcha.
MAMADOU
Quant à moi, j’aurai bientôt un nouvel associé, ou plutôt, une associée.
LYNDA
Vraiment ?
MAMADOU
Il faut dire que je suis tombé dans un piège.
LYNDA
Un piège ?
MAMADOU
Notre chère Éva a lâché un filet au-dessus de ma tête, et je n’ai pas pu lui échapper.
LYNDA
Est-ce à dire que vous avez commencé une petite romance, tous les deux ?
MAMADOU
Ne t’en déplaise, ma chère petite reine.
ÉVA
Ma petite sœur, j’aimerais tant que nous célébrions nos trois mariages le même jour dans la même église : Julien et toi, Fabien et Fabienne, Mamadou et moi.
LYNDA
J’en serais ravie. Cette fois, je trouve ton choix bien plus judicieux que le précédent. Je m’en réjouis et vous souhaite le plus grand bonheur.
ÉVA
Mamadou sera le premier Africain dans la famille royale.
MAMADOU
On m’appellera « le Prince noir ».
ÉVA
Tiens ! mais voilà justement mon amoureux éconduit.
(Entre Kougnonbaf, tenant des journaux.)
Scène II
LYNDA – ÉVA – MAMADOU – MOHAMMED – KOUGNONBAF
LYNDA
Marquis de Kougnonbaf, que nous vaut l’honneur de votre visite ?
KOUGNONBAF
Eh ! bien, je souhaitais vous rencontrer, ma grande reine, ma souveraine illustre…
MOHAMMED
Comme on dit chez nous : En voilà des bonjours !
KOUGNONBAF
J’espère que vous avez constaté mes efforts pour faire oublier ma mauvaise conduite et gagner votre pardon. Je suis désormais un sujet bien soumis, prêt à vous obéir, et disposé à tout sacrifice pour vous plaire.
LYNDA
En effet, Marquis. (à part) Quel fiel a-t-il encore mêlé avec son miel ?
KOUGNONBAF
Et pour vous montrer mes bonnes intentions, je vous ai apporté ma dernière édition. Elle est tout à votre louange.
LYNDA
« Lynda, la Jeanne d’Arc Syldurienne. » Marquis, je ne vous en demandais pas tant.
KOUGNONBAF
Votre cote remonte dans les sondages. Soixante-deux pour cent d’opinions favorables. Et la courbe monte encore. Tout cela grâce à qui ? Grâce à Ottokar de Kougnonbaf, le génial président de Kougnonbaf-Presse. Vous devriez être fière de moi, et j’espère que vous m’accorderez bientôt une place dans le gouvernement.
LYNDA
C’est bien ce qui me chagrine, Marquis : Vous faites et défaites la réputation des personnes selon votre bon plaisir. Je rêve d’une presse juste et impartiale.
KOUGNONBAF
Euh !... Bon ! J’y réfléchirai, Majesté. (à part) Tu ne perds rien pour attendre, ma cocotte.
LYNDA
Quel temps superbe ! Si nous en profitions pour faire un tour dans le parc.
ÉVA
Bonne idée.
LYNDA
Viendrez-vous avec nous, Marquis ?
KOUGNONBAF
Je vous remercie beaucoup. Je vous retrouverai un peu plus tard.
Scène III
KOUGNONBAF – ELVIRE
KOUGNONBAF
Comment se fait-il qu’Elvire ne lui ait pas encore réglé son compte ? On ne peut compter sur personne !
(Entre Elvire.)
Mademoiselle Saccuti, où donc étiez-vous passée ?
ELVIRE
Mais je suis toujours à votre disposition. Trouvez-vous étonnant que je me fasse discrète ? Je suis forcée continuellement de me cacher. Tout ceci est bien pénible et je suis pressée d’en finir.
KOUGNONBAF
Ça ne se dirait pas.
ELVIRE
Pourquoi donc ?
KOUGNONBAF
Mais depuis le temps que j’ai remis cette arme entre vos mains ! Qu’est-ce que vous attendez pour abattre Lynda ? Vous la haïssez autant que moi. À moins que je me sois trompé et que vous ayez envie de sauver sa peau. À moins que vous ayez peur. À moins que vous vous fichiez de moi. Si vous avez changé d’avis, rendez-moi mon revolver. Je l’exécuterai moi-même, ce sera vite fait. Mais oubliez aussi mes promesses. Je voulais partager le pouvoir avec vous. Je voulais vous épouser pour que vous deveniez ma reine. Mais quand j’aurai atteint le trône, je vous ferai jeter eu cachot et je vous ferai trancher la gorge.
ELVIRE
Mais c’est qu’il va se calmer le petit Ottokar ! En voilà des manières ? Si vous voulez m’épouser, il faudra déjà que vous appreniez à me connaître et compter avec mon caractère. Je ne suis pas une fille docile, et quand il s’agit de traquer mon ennemie, je sais me montrer impitoyable. J’attends le meilleur moment, je la poursuis, je l’affaiblis, je l’épuise, je la libère de son sang, goutte après goutte. Et quand j’ai bien joui du bonheur de la faire souffrir et que je suis rassasié de ses cris d’agonie, je l’achève d’une giclée de plomb.
KOUGNONBAF
C’est excellent, mais ne tardez pas trop. Pour une biche aux abois, je la trouve encore vigoureuse.
ELVIRE (à part)
Qu’est-ce que c’est ? Une pensée ? Ce n’est pas ma pensée. C’est une voix intérieure. Est-ce vous, Maîtresse ? Comment ? Maintenant ? J’agirai selon vos ordres. Donnez-moi la force ! Oui, Maîtresse.
(à Kougnonbaf)
Soyez rassuré, marquis, mon intuition me conduit, et vous serez bientôt satisfait. J’aurai bientôt le plaisir de voir cette belle rivale s’écrouler à mes pieds.
(Entrent Lynda, Éva, Mamadou, Mohammed.)