Laideronnette impératrice des pagodes

Publié le 03 juillet 2009 par Araucaria
Juste quelques petites considérations sur la beauté ou sur la laideur, et plus sûrement encore sur le narcissisme ou l'estime de soi.
"Tous les enfants sont narcissiques, puisqu'ils se prennent comme objets d'amour avant de pouvoir se tourner vers des objets extérieurs. Ils se suffisent ainsi à eux-mêmes, même si Françoise Dolto dit très justement que les paroles maternelles, paroles de réassurance, forment les racines deu narcissisme, prouvant là le rôle essentiel joué par les tiers dans sa construction. Chacun naît avec un capital de narcissisme plus ou moins important qui va être renforcé ou amoindri par l'attitude des parents. Tous les enfants ne sont pas beaux et intelligents, mais si les parents les trouvent beaux et intelligents, les choses iront mieux. Ainsi, ce pauvre bossu de Naïs, si bien décrit par Pagnol, ne se voit-il jamais bossu dans les yeux de sa mère et de sa grand-mère. Des yeux qui l'on aidé à se construire et à se supporter, le protégeant de la dévalorisation et de l'autodépréciation inhibantes et lui permettant d'affronter d'autres regards moins bienveillants. (...)
De manière un peu simple, on pourrait dire que le bébé n'a de soi que dans le regard de sa maman, puis de ses parents, et enfin devant le miroir où il se découvre une image à laquelle il s'identifie. Il sait alors qu'il est lui et accède au stade de sujet. Le soi ne va plus cesser de s'affirmer, pour se construire vraiment à l'âge de l'école primaire. A l'adolescence, le soi se redécouvre dans le miroir, mais pas seulement; il a besoin d'un autre reflet, celui du groupe, de la bande de copains, qui le rassurent sur son existence et sur ses capacités : le soi est davantage un soi groupal qu'un soi individuel.
L'estime de soi se confond alors avec l'image de soi - image esthétique, qui n'intéresse pas beaucoup les enfants. La preuve? Rares sont ceux qui se trouvent laids... sans doute parce qu'ils ne se regardent pas, ou que peu, dans la glace. On a de souvenir de soi à cette époque qu'à travers les photos précieusement conservées, sacralisées par la famille. "Ah bon, c'était moi, ça?" On se découvre, non sans un certain étonnement : les parents ne cessant de nous répéter combien nous étions mignons, nous sommes frappés de nous trouver... ingrats? quelconques? En revanche, on se rappelle très bien comment on était à l'adolescence, et surtout comment on se sentait. Généralement, on ne se sentait pas très bien.
(...)
Il suffit d'un rien pour que le doute s'installe : des hanches qui s'arrondissent un peu trop, des oreilles décollées, ou une remarque désagréable de la part d'autrui. S'il a par ailleurs une certaine confiance en ses capacités intellectuelles ou relationnelles, l'adolescent va supporter sans trop de dommages cette fragilisation. Mais s'il manque du narcissisme nécessaire, doute de lui, de ses choix, de ses possibilités, la fragilité propre à cet âge va venir s'ajouter à une fragilité plus profonde, renforçant la mauvaise estime de soi. Il risque alors de se replier sur lui-même, évitant autant que faire se peut d'affronter le regards des autres. (...)
Se trouver -être- laid est parfois une douleur lancinante qui n'est pas sans conséquences pour l'avenir. Quand certains réussiront à dépasser une disgrâce physique, mettant en avant leur brio, leur charme, leur vivacité, toutes ces qualités qui aident à avoir une estime de soi positive et satisfaisante, d'autres vont être véritablement invalidés. Se trouver laid peut empêcher de vivre des amours auxquelles on pourrait prétendre. Se trouver laid, c'est ne pas oser dire à l'autre qu'il nous plaît, par peur de se faire rejeter. C'est s'interdire de rêver. Renoncer, pour les filles, à séduire le prince charmant et, pour les garçons, à faire succomber Marilyn... ou Laetitia Casta."
Professeur Marcel Rufo - Tout ce que vous ne devriez jamais savoir sur la sexualité de vos enfants - Le livre de poche n° 30383 -
Ce sujet me tenait particulièrement à coeur. Voici pourquoi j'ai voulu l'aborder. La beauté ou la laideur sont parfois très relatives... le plus important restant de vivre en harmonie avec son corps et de se trouver un minimum de qualités qui font que nous devenons acceptables. Or, parfois, l'attitude des adultes, le plus souvent nos propres parents, va nous conduire à une impasse, qui nous fragilisera et nous meurtrira pendant une longue période de notre vie. Je sais de quoi je parle, j'ai vécu ce scénario. Pendant toute mon enfance (alors que j'étais leur enfant unique) mes parents n'auront regardé et admiré que les enfants des autres, m'ignorant comme si j'étais totalement transparente. Croyez-moi, cela n'aide pas beaucoup à se construire harmonieusement. Ainsi, les voisins, les enfants des collègues ou d'un employeur, les cousins, étaient parés de toutes les qualités et vertus... Ma mère s'intéressait à la beauté, mon père à l'intelligence... Je me souviens aussi que celui-ci a dénigré mes "infirmités"... Cela peut paraître ridicule à mon âge si je vous avoue que j'ai souffert parce qu'il s'est moqué des taches de rousseur qui venaient orner mon visage lorsque je m'exposais un peu trop longtemps au soleil...ou d'une de mes oreilles pas assez bien rangée... J'étais mortifiée, d'autant que la remarque a été faite plus d'une fois...
Je n'étais pas même timide, j'étais sauvage... Je rasais les murs, et j'avais interdiction de jouer avec les enfants de mon quartier... Un jour, j'avais 11 ou 12 ans, un gamin un peu plus vieux, pour se venger de mon indifférence sans doute, m'a saluée de cette manière "BONJOUR MOCHETE!"... Je n'ai rien dit, rien répondu à ce garçon ( que je ne trouvais pas très gaté par la nature non plus), et encore moins fait de confidence à mes parents. J'ai rasé encore un peu plus les murs, pendant des années, redoutant de retrouver mon "agresseur" sur mon chemin.
Le temps a passé, mais le mal était là, insidieux. Un regard appuyé de la part d'un inconnu, il ne pouvait qu'avoir remarqué mon extrème laideur... Un compliment sur mes yeux, mes pieds, ou une qualité... on ne pouvait que se moquer...c'était un piège...
En venant sur le net, discuter sur des forums j'ai tissé des liens avec des internautes hommes ou femmes, échangeant donc par mails privés... Lorsque ceux-ci m'ont demandé une photo au bout d'un certain temps, j'ai beaucoup hésité à la leur adresser... me trouvant laide et ne voulant pas leur imposer une image hideuse... Les uns et les autres ont fait preuve d'une grande patience et de beaucoup d'amitié... J'ai rencontré par la suite plusieurs de mes correspondants, aucun n'est parti au triple galop ou ne s'est évanoui de terreur... Je les en remercie.
Si je vous ai raconté cette anecdote, c'est que cela aura été une souffrance réelle de très longue durée, une blessure qui m'aura tourmentée et gâchée la vie.
J'ai voulu vous faire connaître le point de vue de Marcel Rufo, Pédopsychiatre brillant et d'une grande humanité... Les mots des adultes peuvent avoir une portée inattendue et être source de traumatismes, alors avant de lancer n'importe quelle phrase à la face d'autrui, il serait bon de réfléchir "Comment mon message - ma plaisanterie parfois - va t'il être perçu? Ne vais-je pas risquer de marquer cet enfant - cet ado - au fer rouge? et lui pourrir la vie?"... Il faut tourner 7 fois sa langue dans sa bouche avant de parler...