Il fait nuit. L’ambiance est tendue dans la maison à flan de colline. La forêt et la nuit nous entourent. Nous sommes à la fin du dîner, j’ai le sentiment qu’il s’agit du dernier repas pour le condamné à mort. Je frissonne à cette idée.
A la fin de cet étrange rassemblement, je pars vérifier les différentes pièces. Si la maison est à moitié sous la colline, toute la partie qui ne l’est pas possède de grandes baies vitrées, en verre securit et un rideau de fer à baisser mais quand même. Je sais que dehors ils sont là, à surveiller les alentours. L’heure approche. Dans la chambre de ma petite soeur, la porte vitrée est ouverte. Je l’appelle fort en fermant le tout. Je retrouve ensuite le reste de ma famille, ma jeune tante et François. Ils sont dans la pièce principale, la seule dont la rideau de fer n’a pas été baissé. La porte est ouverte sur la forêt et ses bruits étranges.
Nous prenons chacun nos armes. Je prends un fusil avec un long canon, les autres ont des fusils d’assault ou des mitraillettes. Ma grande soeur, mon père, ma tante et François se postent à l’entrée, un genou à terre. Je suis debout derrière eux. Ma mère et ma petite soeur gèrent les projecteurs extérieurs. Je scrute l’extérieur avec ma lunette à vision nocturne. Je la vois enfin. Marchant tranquillement sur le sentier, à quelques pas de là. La maison est plongée dans le noir, nous sommes silencieux, elle ne nous prête aucune attention.
Je tire le premier coup de feu et au même moment, les projecteurs aveuglent la balverine. Elle se tourne vers nous et fonce vers l’entrée. Je tente de recharger mais le fusil refuse, comme s’il n’y avait plus de balle. Je m’énerve et crie :
-”Tirez ! Je n’ai plus de balles !”
Je regarde la balverine dans les yeux, elle semble se moquer de moi, ses babines sont légèrement retroussées, comme si elle allait éclater de rire. Je fulmine en ouvrant le chargeur de mon fusil. J’entends les armes cracher leurs balles à un rythme effrené, ma tante me tend deux balles. Mon chargeur est plein, je serre les dents en l’enclenchant.
Je lève le fusil, je regarde la balverine qui ralentit un peu sous la pluie des balles mais rien n’y fait, elle est toujours debout. Plus que quelques pas et elle pourra bondir sur nous. Ma mère emmène ma petite soeur hors de la pièce et verrouille la porte derrière elles. Je retiens mon souffle et tire cinq balles, quatre dans le haut du corps et la dernière vers son coeur. La balverine s’écrouille sur le seuil de la porte. Son dernier soupir me réchauffe les pieds.
Dans la forêt, j’entends des cris de joie. Les chasseurs se dirigent tous vers la maison, ils sont une cinquantaine. Tout le monde est soulagé, se serre dans les bras. La dernière balverine a été tué. Je regarde mon fusil, si cher à mes yeux et ses balles en argent. La fin de la nuit est à la fête, le corps de la balverine est brûlé.
A l’aube, ma famille et les chasseurs ont fini par aller se coucher. Je reste seule assise dans un fauteuil face à la baie vitrée. Mon regard scrute la forêt, mon coeur n’est pas apaisé, comme si je n’avais pas tué la dernière balverine. Mon fusil est près de moi, chargé. Un léger mouvement près d’un arbre attire mon attention. En un éclair, je saisis mon arme, le doigt près de la détente, je fixe l’arbre en attendant qu’elle se montre…