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Un homme affable V.2

Publié le 05 juillet 2009 par Sophielucide

Nous passâmes le reste du trajet à dresser l’inventaire de ces nouveaux faits tangibles qu’il nous faudrait un à un vérifier. La tâche était immense aussi nous décidâmes de  la partager. Pendant que Fabien concentrerait ses recherches sur ce Bernard Barrault, attaché culturel à la ville de Paris en 1987, je tenterai quant à moi de retranscrire la lettre de Mona, en y incluant, si j’y arrivais, les passages biffés. Il nous faudrait également vérifier si cette artiste maudite n’avait pas totalement déliré en entretenant sa fixation sur  Charles Massier.  Son passage de six mois en Angleterre devait avoir laissé des traces, ne seraient-ce que cette pension réservée à son nom, cette « opération » annulée mais tout de même programmée, ces six mois passés en tant que femme de chambre dans le petit hôtel londonien. Vérifier la date de son retour en France, les différents intervenants présents à son accouchement, ce pédiatre imbécile qu’elle évoquait, sa voisine même à laquelle le bébé avait souri….

Et puis, subsistait cette voix. Une voix féminine, « articulée et distinguée ». Ce détail me titillait ;  alors que Fabien le mettait au compte d’uns schizophrénie latente, j’y revenais toujours parce que cette incursion vocale me semblait insolite, détonante même. Elle l’avait entendue au téléphone, dans la cage d’escalier…Je n’osais pas révéler à Fabien que j’y apposais naturellement le visage de Monique Massier, la destinataire de cette lettre. Celle-là même qui avait feint d’ignorer jusqu’à l’existence de la première épouse de feu son mari. Je me taisais parce que je n’avais pas le courage d’essuyer le regard méprisant ou moqueur de mon chauffeur d’avocat. Il n’hésiterait pas à fustiger ma propension à romancer l’affaire, quitte à l’arranger à mon gré. Je réservais cette intuition pour plus tard, lorsqu’il  serait calmé.

Charles m’avait parlé de cet amour incertain, surdimensionné, impossible à gérer, selon ses propres termes. Il ne m’avait même pas caché la source de son attirance pour moi. En cela, je me sentais proche de Mona ; j’eus même la faiblesse de croire que j’aurais sûrement agi comme elle en faisant passer le mec à la place du bébé. La seule différence, c’est que je n’avais jamais éprouvé moi-même le désir d’enfanter, reculant sans cesse l’échéance et puis me convaincant finalement,  qu’à l’instar de Mona, j’aurais été, à mon tour, une mauvaise mère. Mais si je m’étais trouvée dans la situation plus ou moins imposée d’une grossesse surprise, quelle aurait été ma réaction ?  Y aurais- je opposé la moindre résistance ? J’en doutais sérieusement…

Fabien me déposa à une bouche de métro et fila à la mairie avant de rejoindre son cabinet. Nous avons décidé de nous voir le lendemain, après une nuit de sommeil. Comme moi, je crois qu’il se rendait compte qu’on s’impliquait un peu trop dans l’affaire, qu’une certaine distance s’avérait nécessaire. Nous étions tous les deux sur les nerfs, cette histoire nous minait.  Toutes ces femmes gravitant autour du même homme, devenu victime, pesaient maintenant sur les épaules de Fabien.

Nous avions passés nos soirées ensemble, à en disserter plus ou moins gaiement mais aucun  de nous n’était dupe : ce casse-tête amoureux, ce jeu de devinettes avait causé suffisamment de victimes réelles et supposées. Nous nous devions de nous préserver avant de sombrer à notre tour, en reconnaissant tout de même que nous prenions goût à ce vertige recommencé. Prendre du  recul  devenait une nécessité et nous ne manquâmes pas de nous féliciter mutuellement pour cette lucidité commune,  ce parti pris incontournable pour les deux professionnels que nous formions.


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