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Un homme affable V.4

Publié le 06 juillet 2009 par Sophielucide

Réveillée tôt le lendemain, je décidai d’aller cueillir mon acolyte chez lui ; j’étais curieuse de connaître l’endroit où il vivait, s’il avait déjà noué avec de petites manies de célibataire endurci ou si, comme je le supposais, il évoluait dans un antre bordélique sentant le tabac froid. J’achetai des croissants  pour la forme et m’apprêtai à frapper à sa porte au moment où elle s’ouvrit en grand sur un grand dadais à peine pubère qui faillit me renverser. C’est tout juste si le jeune freluquet  s’excusât, en lançant un « à la prochaine » avant de dévaler les escaliers. J’étais interloquée ; voilà donc la cause de l’indifférence de  Fabien à mon égard : son homosexualité qu’il avait tue, peut-être parce qu’en effet, l’amant qu’il s’était choisi me semblait un peu jeune…¨ô tempora etc.…. ne sus-je que penser…

«  J’aurais parié que tu étais une lève-tard, encore un de ces maudits préjugés qu’il va me falloir revoir
-    Préjugé ? Tu as dit préjugé ? Et ce gamin alors ? Un peu jeune, non ?
-    En l’occurrence c’est moi qui le suis…Ben voilà, tu viens de croiser mon fils, c’est Dimitri, costaud, hein ? »

Cette fois, j’étais carrément abasourdie d’apprendre que Fabien était père. Pendant qu’il préparait le café, il me raconta qu’il n’avait fait sa connaissance que trois ans auparavant. « Encore une histoire de fous.. Si je te dis que ce gamin est sans doute une de mes premières expériences sexuelles, tu ne me croiras pas et pourtant c’est vrai. J’avais quinze ans et je crois bien n’avoir couché qu’une fois avec sa mère, la meilleure amie de celle que je convoitais en secret. Et voilà le résultat ! Le gamin a fait une fugue à 13 ans et n’a accepté de réintégrer le domicile familial qu’une fois que sa mère lui aurait dévoilé l’identité de son géniteur. Je te dis pas le choc que ça m’a fait ! Ça m’a coûté une année de dépression, c’t’affaire… Mais là, ça va mieux, on commence à s’apprivoiser mutuellement, je dois même dire que je m’y suis vachement attaché, à ce rejeton… »

Une deuxième tasse de café fut nécessaire pour qu’à mon tour je fasse taire mes idées reçues. Je ne savais que penser « ça alors ! » face à cette nouvelle, tout en me méprisant d’avoir pu l’imaginer avec ce jeune garçon. Je lui confiai  avoir songé à l’hypothèse  homosexuelle, afin de lever sournoisement un de ces foutus barrages, générateur de confusions.  J’essayais de me convaincre que ce serait une bonne solution pour conserver cette forme d’intimité qui se tissait depuis ces quelques jours.  Le fourbe se mit à rire franchement sans pour autant contredire cette éventualité. Je le maudis en silence avant de l’interroger sur l’avancée de son enquête. Avait-il réussi à retrouver Bernard, le récipiendaire  des toiles de Mona ?

Son visage s’assombrit. Il hocha la tête. Bernard Barrault avait succombé à une pneumonie en 1994. Séropositif depuis des lustres, il avait développé le sida cette même année et mis un an à agoniser doucement. Cette annonce nous plongea dans une profonde tristesse face à cette  maladie dont on ne parlait plus qu’une fois par an, durant le Sidaction, qui n’émouvait que peu les chaumières et conservait une  spécificité fondée sur la répulsion, liée au sexe, à l’homosexualité justement, et tous ces préjugés sous les signes desquels cette journée s’amorçait.

Je lui racontai alors que j’avais du annoncer un mensonge éhonté à Charles pour qu’il consente à se servir de préservatifs, qu’il laissait aux drogués et autres dévoyés.
«  Quoi ? Répète ça, s’il te plait…
-    Je lui ai dit que j’étais séropo ; c’est pas vrai mais je n’ai trouvé que cette parade, c’est triste, non ?
-    Et il a accepté ? Il n’est pas parti en courant ?
-    Je n’avais pas prévu que ce détail serait pour lui un attrait supplémentaire, une ressemblance de plus avec cette femme tant aimée et défunte. Je devenais une vivante en sursis, chargée du mystère de la mort que je trimballais en  moi,  ce danger l’excitait comme une puce…
-    Un vrai malade, ce type ! »
Ce petit intermède associé à la caféine qui faisait son effet  nous remit d’attaque. Fabien me narra sa visite auprès de la nouvelle chargée culturelle, charmante au demeurant. Elle lui avait promis de se charger de retrouver l’œuvre de cette artiste peintre qui faisait l’actualité. Pour l’heure, tout ce qu’elle savait était que les locaux de l’Observatoire, réservés aux  artistes du temps de la gestion calamiteuse  de l’ancien maire de Paris, remplissaient à nouveau une fonction purement scientifique.

Fabien semblait confiant, la jeune chargée culturelle avait flairé la bonne opportunité de se faire un nom au sein de son équipe. Il ne doutait pas qu’elle ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour  retrouver l’œuvre d’une artiste déchue, mais cotée.


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