Scène IV
KOUGNONBAF – ELVIRE – LYNDA – ÉVA – MAMADOU – MOHAMMED
MOHAMMED
La marche dans la nature m’a creusé l’appétit. Je mangerai volontiers un petit morceau.
ÉVA
Après avoir respiré l’air pur de Syldurie, une collation s’impose.
LYNDA
Par exemple ! Elvire ! Que fais-tu ici ?
ELVIRE
Surprise de me voir, ma chérie ?
LYNDA
Je ne me souviens pas de t’avoir invitée.
ELVIRE
C’est grand tort. Tu ouvres grande les portes de ton palais à ces deux rastaquouères, tandis que tu me laisses pour compte, moi, ta meilleure amie. Comme tu me déçois, Lynda, comme je suis vexée !
LYNDA
Ma meilleure amie ? Toi ?
ELVIRE
N’avons-nous pas vécu de bons moments ensemble ?
LYNDA
Assurément, le jour où les faux jetons navigueront, tu seras amiral.
ELVIRE
Tu es injuste !
LYNDA
Pour commencer, tu vas m’expliquer les raisons de ta présence ici. J’ai le pressentiment que tu ne m’apportes rien de réjouissant.
ELVIRE
Tu ne croyais pas si bien dire, pauvre cloche. Je suis venu te tuer.
LYNDA
Me tuer ? Quelle est donc cette nouvelle invention ? Tu ne m’avais pas encore fait ce coup-là.
ELVIRE (pointant son arme contre elle)
Tu vas mourir, ravissante idiote.
LYNDA
Il y a longtemps qu’on ne m’avait pas traitée de ravissante idiote.
MAMADOU
Elvire, je vous en prie, lâchez cette arme.
ELVIRE
Toi le négro, tu la fermes !
MOHAMMED
Si jamais vous faites du mal à Lynda…
ELVIRE
Tu restes à ta place, ou je te taraude le nombril.
LYNDA
Merci de votre aide, les garçons, mais c’est une affaire entre elle et moi.
ELVIRE
Et cette affaire sera vite conclue, chienne, à moi la vengeance et le plaisir de voir ton sang jaillir de ton corps.
LYNDA
Qui a pu mettre en ton cœur une telle félonie ?
ELVIRE
Ah ! Non ! Ne me regarde pas de cette façon-là.
LYNDA
Pourquoi donc, ma grande ? Tu espérais lire la terreur et la supplication dans mon regard, et tu y trouves encore ce feu qui t’a déjà tant de fois consumée.
ELVIRE
Ne commence pas ! Tu n’es pas en mesure de me braver. L’arme qui va t’abattre est dans ma main.
LYNDA
Misérable traîtresse, et maintenant meurtrière, tu vas découvrir comment meurt une reine, et surtout comment meurt une chrétienne. Prends-en de la graine pour le jour où ton tour viendra.
KOUGNONBAF
Est-ce que ce n’est pas bientôt fini ? finissez-en, Elvire. Vous ne comprenez donc pas qu’elle est en train de vous distraire pour vous désarmer.
LYNDA
Accorde-moi la grâce de ne pas mourir idiote, et raconte-moi ce que cette larve de Kougnonbaf vient faire dans ta combine ?
ELVIRE
Tu auras ton explication, ce sera ta cigarette du condamné à mort : Ottokar de Kougnonbaf est prêt à tout pour devenir roi à la place de la reine, et il me paie grassement pour t’éliminer. J’ai échoué une première fois quand tu nous as fait ton numéro du Lévitique, mais cette fois-ci, tu es fichue, ma jolie, je te tiens au bout de mon revolver.
ÉVA
Elvire Saccuti, vous n’êtes vraiment qu’une scolopendre.
ELVIRE
Attends, un peu, petite bécasse, tu es sur ma liste, mais je n’ai que deux mains ; Ton tour viendra.
(Entre Julien.)
Scène V
KOUGNONBAF – ELVIRE – LYNDA – ÉVA – MAMADOU – MOHAMMED – JULIEN
JULIEN
Ma chérie, pour la marche nuptiale : Wagner ou Mendelssohn ?
LYNDA
Mendelssohn. Non, Wagner. Non, Mendelssohn. Non, Wagner. Non, Mendelssohn. Non, Wagner.
JULIEN
Wagner ? Tu en es sûre ?
LYNDA
Oui.
JULIEN
Allons-y pour Wagner !
(il sort en chantant.)
ELVIRE
Celui-là, il plane vraiment dans la strato… Eh ! Dis donc ! Rappelle ton copain.
LYNDA
Mais…
ELVIRE
Rappelle ton copain, ou je descends l’arabe.
LYNDA (à la porte)
Euh… Julien, tu peux venir une minute ?
(nouvelle entrée de Julien)
ELVIRE
Prends un siège, mon petit Julien, installe-toi confortablement. Je vais t’offrir un spectacle dont tu te souviendras toute ta vie.
JULIEN
Qu’est-ce que c’est que cette comédie ?
ELVIRE
Une comédie ? Tu appelles ça une comédie ? Sanglante comédie en vérité ! Je vais abattre ta petite chérie devant tes yeux. Voilà qui mettra un peu de sucre glace sur le gâteau de ma vengeance.
JULIEN
Elvire, mais pourquoi ?
ELVIRE
Tu n’es pas en mesure de poser des questions.
JULIEN
Harpie !
(il se précipite sur Elvire. Elle le menace de son arme.)
ELVIRE
Je ne te conseille pas de jouer les chevaliers servants. Retourne t’asseoir. On n’arrête pas les balles avec le poing.
LYNDA
Ne te fais pas de souci, mon trésor ; ce n’est pas parce qu’elle a un lance-pierre qu’elle me fait peur. J’en ai brisé de plus solides.
KOUGNONBAF
Assez perdu de temps en discussions ! Elvire, exécutez votre contrat. Et allez faire ça ailleurs. Je ne supporte pas la vue du sang.
ELVIRE
Bonne idée. Passons dans la grande salle derrière. Nous y serons plus tranquilles pour régler nos comptes.
(Elle entraîne, Lynda vers la sortie.)
JULIEN
Je t’aime, Lynda. Je t’aime.
LYNDA
Moi aussi, Julien. Ne t’inquiète pas.
ELVIRE
Allez ! Avance !
(Lynda sort avec Elvire, sous la menace de son pistolet. Quelques secondes de silence. On entend un coup de feu.)
JULIEN
Lynda !
(Silence d’environ une minute. Puis entre Sabine.)