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Un homme affable V.6

Publié le 07 juillet 2009 par Sophielucide

Il faisait encore frais en cette matinée de printemps et je me laissais guider par les rayons de soleil qui perçaient les nuages. Etait-il prévu qu’ils se fixent juste au dessus du parc où un couple se séparait d’un baiser ? Je m’installai sur le banc abandonné, traversée d’une pensée émue pour mon lit déserté. Quelle idée d’être arrivée à cette heure indue chez Fabien, sans y avoir été conviée. Je ne tenais pas à me rappeler la grossièreté avec laquelle je m’étais conduite. La honte rétrospective qui me monta aux joues me donnait une furieuse envie de creuser un trou  au beau milieu du bac à sable, ou pourquoi pas tenter la burqa.

Je finis par rentrer chez moi et me vautrai dans le lit encore tiède.

Je ne connaissais pas la prison en dehors de ce qu’on pouvait en voir au cinéma ou à la télévision ou en lire dans les journaux, ou les romans.  Lorsque l’odorama sera au point, alors seulement on pourra mesurer l’immédiate sensation d’étouffement que la prison  crée, dès qu’on y met un pied. Un mélange infernal de désinfectant, relents de cantine et parfums bon marché, le tout surplombé par la puissance du  métal aliénant tous les sens.   On en a le goût en bouche, les haleines sont chargées, comme si le surplus auditif causés par les clics continuels de clé dans une serrure, se répandait intimement dans notre organisme. Je paniquai un instant le long d’un couloir qui n’en finissait pas.  Fabien me prit par l’épaule jusqu’à la dernière porte qui nous séparait d’Emma.

J’avais craint qu’elle prenne mal ma présence mais après m’avoir salué d’un signe de tête, elle ne me prêta plus attention. Une fois encore, j’étais aux premières loges, en spectatrice privilégiée et je m’efforçais d’enregistrer le moindre des mots et gestes  de la jeune femme.   Ses cheveux coupés très courts et les lunettes qu’elle portait présageaient un changement de disposition ; c’est du moins ce que nous espérions, Fabien et moi, en échangeant un regard censé nous donner du courage.

«  Si j’ai bien compris, je suis accusée  d’un meurtre désormais doublé d’un parricide…
-    Ca c’est hors de question ; nous prouverons à la cour que vous ignoriez tout de votre filiation
-     Vous trouvez ça normal, vous, que je sois tombée amoureuse du même homme qui a tué ma mère ? J’arrive pas à m’y faire, cette idée me révulse….Si seulement je conservais le moindre souvenir de cette soirée, mais j’ai beau chercher, tout ce dont je me souvienne c’est ce réveil dans le lit conjugal, ce regard fixe braqué sur moi, ce rictus figé sur un cadavre que je ne connais pas ;
-    Excusez-moi, je vais vous poser des questions, comme ça, en rafale, répondez ce qui vous vient à l’esprit, sans tenter d’analyser, ok ? On peut toujours voir ce que cela donne…Etiez-vous habillée ?
-    Non, j’étais entièrement nue, et lui aussi ; je crois que cela m’a davantage choquée que contempler pour la première fois de ma vie un macchabée.
-    D’après vous, y-a-t-il eu un acte sexuel entre vous deux ?
-    C’est mon cauchemar, je n’en sais strictement rien, j’étais dans une sorte d’état second qui m’a guidée vers la salle de bain où j’ai pris une douche, très chaude et très longue ; c’est après seulement, que je suis retournée à la chambre et j’ai bien du admettre que j’avais tué cet homme et si j’ai commis un tel acte c’est qu’il m’a offensée, je ne vois pas d’autre explication, sauf que cela ne m’a pas empêchée de m’endormir et c’est ce qui m’intrigue. Depuis toute petite, j’ai le plus grand mal à trouver le sommeil, et je ne parle même pas de la vue du sang. La moindre goutte me fait tourner de l’œil ;
-      Quel est le souvenir que vous gardez de Charles Massier vivant ?
-    J’ai une vision très nette de lui, à la gare de l’Est.
-    Vous l’avez reconnu ?
-    Non, bien sûr ! Mais j’ai remarqué cet homme à côté d’un pilier, les bras croisés,  qui m’observait. Moi, je dévisageais chaque type de votre âge, la trentaine
-    C’est lui qui est venu vers vous, alors ?
-    C’est exact ; il m’a tendu la main en se présentant comme le père de Charles, qui avait eu un empêchement
-    Qu’est-ce que vous avez pensé à ce moment précis ?
-    Qu’il me faudrait chercher une chambre d’hôtel, renoncer à nos plans, cette soirée que nous avions si méticuleusement préparée …
-    Charles Massier a t-il précisé la cause de l’empêchement de ce fils supposé ?
-    Un urgence d’ordre professionnel il me semble, je ne me souviens plus…
-    Quel métier exerçait-il ?
-    Instituteur.. Ha oui, il m’a parlé d’un problème familial d’une petite fille de sa classe ; il devait nous rejoindre plus tard, chez son père, justement
-    Pas une fois, vous n’avez mis en doute la véracité de ses propos ?
-    J’avoue que non. L’homme m’a tout de suite inspiré confiance. Et puis je n’avais nulle part où aller…
-    Comment le qualifieriez-vous, d’un mot ?
-    C’est drôle, cette question, car tandis qu’il portait mon sac et me proposait de prendre un verre à la brasserie d’en face, je me suis faite cette réflexion en marchant sur ses pas , c’est exactement ce qu’on pourrait nommer un homme affable…
-    Un homme affable ?
-    Oui, c’est ce que j’ai pensé. »


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