L’heure passée, nous nous quittâmes à regret et c’est Clotilde qui tendit la main vers nous ; son regard n’avait plus rien de fuyant, son sourire était franc. A contrario, c’est nous qui nous sentîmes penauds en déambulant dans le couloir, vers la sortie. Cette fois, c’est moi qui posai une main sur l’épaule de Fabien ; il avait bien manœuvré, en confiant une intime conviction que je savais erronée ; il m’avait dit ne pas douter de sa culpabilité mais misait sur les circonstances plus qu’atténuantes sur lesquelles il allait construire sa plaidoirie.
Sur le trottoir, à l’air libre enfin, il m’avoua avoir joué un joker qu’il mettait sur le compte de ma présence à ses côtés. « Je me suis dit qu’il me fallait mettre en relief un peu de ma féminité, celle qui vous est si chère, à vous autres les femmes. Je me suis laissé aller à penser tout haut, et tout ça c’est grâce à toi, cette clé que tu as évoquée pas plus tard que ce matin, tu te souviens ? »
Je préférais ne pas me souvenir de cette matinée et m’en tenir à la verve nouvelle de Clotilde. Elle m’avait fait passer un petit papier sur lequel elle avait noté son adresse e-mail, ainsi que le mot de passe de sa messagerie. L’accès à Internet lui était défendu pour l’instant, elle restait confinée à l’infirmerie où on soignait son surmenage.
Fabien me proposa de prendre un verre au café d’en face mais je préférais marcher un peu et trouver un endroit moins chargé, plus avenant. Sur le chemin il me raconta enfin l’histoire du tampon ; moi qui pensais au cachet de la poste faisant foi, selon l’expression consacrée, je tombai de haut, partagée entre le fou rire et le dégoût.
Il faut dire que Fabien y mit du sien pour peindre la scène avec force détails. Le corps nu du cadavre, débarrassé du drap qui le couvrait, gisait en travers du lit, un tampon usagé ficelé autour de son sexe. Le tableau suscita des commentaires acerbes des enquêteurs qui allèrent jusqu’à comparer la taille de la protection féminine avec le membre rabougri de l’homme sans vie. C’était le signe, selon Fabien, de la dépravation de ce type qu’on avait non seulement assassiné mais surtout ridiculisé. Le sang retrouvé sur le coton appartenait bien à Clotilde qui ne nia pas d’ailleurs avoir ses règles ce jour-là. Mais de cette mise en scène tragicomique, elle ne se souvenait de rien, comme de bien entendu.
« Tu m’avais caché que ton ancien amant avait un petit zizi » fit-il avant de nous commander un demi. Je haussai les épaules et repartis du même fou rire qui ne me quitterait plus jusqu’à ce qu’on se sépare, dix minutes plus tard avec un rendez-vous pour le soir même.