Accident(s)

Publié le 07 juillet 2009 par Didier T.
Photo : Brigitte Bardot, Michel Piccoli, Le Mépris, Jean Luc Godard- Et mes jambes ? Est-ce que tu les aimes mes jambes ? Et mes cuisses ? Est-ce que tu les aimes mes cuisses ?
Mademoiselle hier soir, juste en face de chez moi, aurait très bien pu prononcer les mots de Brigitte Bardot dans le Mépris de Godard.
Et, assurément, elles avaient de magnifiques jambes, oui de somptueuses jambes, fines et longues, joliment dorées et terminées par un pied gracieusement bridé dans les spartiates de Cléopâtre.
Au téléphone, elle criait, dans cette langue aux sonorités fortes qu’est le portugais, à son amant, méprisé, « est-ce que tu m’entends ? » ou « cette salope ! », « cette grosse pute ! ». Tout d’un coup, il s’est mis à pleuvoir un peu, pour se couvrir de l’eau, elle a enfilé le casque du scooter qui l’attendait garé juste devant la porte d’entrée de mon immeuble ; ce casque lui donnait une drôle de dégaine et forçait encore plus notre regard vers ses jambes fabuleuses découvertes par la mini robe qu’elle avait choisi de porter.
Au téléphone, on parle, on s’énerve, on crie, on raccroche, on rappelle, entre les appels on pleure, pendant qu’on pleure on se console tout seul ou à plusieurs. La patronne, la serveuse mais aussi le cuisinier du restaurant brésilien d’en face de chez moi, Carajas, ses amis, venaient donc, quand elle n’éructait pas dans son téléphone, la consoler ou la raisonner.
- Ne t’inquiète pas ce n’est qu’une passade.
- Laisse tomber, c’est pas un type bien de toute façon.
- Tu es belle et tu as la vie devant toi.
Mais rien n’y faisait ; Mademoiselle criait toujours plus fort dans son téléphone, pleurait, se désespérait. Alors évidemment, comme les gens malheureux sont fatigants et font peur, ses amis se sont lassés de la consoler. Ils ont commencé à rentrer les tables d’extérieur, les pots de fleurs décoratifs, à sortir les poubelles et à bousculer Mademoiselle, lui demandant implicitement de s’en aller, de laisser place nette car les gens malheureux, franchement, ça pue trop. Elle est restée là juste à ce qu’ils éteignent les lumières et qu’elle sente que prochainement leur porte allait se fermer. 
Plus le temps passait, appel après appel, plus sa démarche devenait titubante. Le stress ? L’alcool ? Le désespoir ? Tout ça ? Elle ne pouvait pas raisonnablement monter sur sa bécane et pourtant elle y est allée avec son casque. Elle est montée sur la machine, elle a tourné la clé, le moteur a démarré, elle a soulevé la cheville, elle a appuyé sur la poignée, elle est partie sur la chaussée glissante. Quelques secondes plus tard, on a attendu un très gros boom. La patronne, la serveuse et le cuisinier de Carajas ont rallumé la lumière, ils ont mis leurs mains sur leur tête, ils ont crié et ils ont descendu la rue en courant avec les badauds de deux heures du matin. Mademoiselle a eu un accident de la route.
Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu