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Un homme affable VI.1

Publié le 08 juillet 2009 par Sophielucide

J’ avais pris ce fait divers en route, dans la solennité d’une salle de tribunal, mais ce n’était que dans la prison, une semaine plus tard, que je m’étais  vraiment rendue compte d’une réalité plus brutale. Avec le visage transfiguré de Clotilde dont j’admirais le sang froid. Les calmants administrés à l’infirmerie contribuaient sans doute à cette distance indispensable à cette épouvantable histoire.

Les vingt-deux premières années de sa vie n’avaient  composé qu’une parenthèse  silencieuse, qui  se refermait sèchement pour laisser place à un nouvel épisode dont elle jouait le  rôle principal sans en connaître  la partition, encore moins les partenaires. Elle se découvrait une mère suicidée, un père assassiné et ce trou noir, cette absence amnésique qui cachait peut-être  l’acte innommable d’un viol incestueux.  Rien que ça ! Cette vérité qu’elle avait cherchée durant sa petite enfance, puis fuie à l’adolescence explosait dans un champ déjà dévasté, comme s’il avait été conditionné pour cela. C’est ce qui continuait de m’obséder, à mon tour : cette programmation trop savamment articulée qui faisait dire à Fabien que « c’était trop »

Les zones d’ombres restaient nombreuses, le passé ne se dévoilerait que lentement, par petits pans qu’il faudrait soulever un par un ;  dans les tableaux de Mona ou la correspondance de Charles, espérait Fabien tandis que je persévérais à miser sur le rôle incontournable  de Monique Massier .
C’était notre désaccord à la lecture du dossier.

«  Sauf, que, tu le vois bien, les vivants et les morts se disputent la vedette dans cette histoire
-   Charles Massier a séduit une jeune femme qu’il a fait venir chez lui, a tenté de  violer ou y est même peut-être arrivé et celle-ci s’est défendu.  Tout ce qui relève du caractère obsessionnel de la victime  va dans ce sens : une enfance trop choyée sous l’égide d’une mère castratrice, un amour fulgurant mais morbide puis cette nouvelle épouse qui ressemble physiquement à la première en remplissant le rôle de la mère recherchée. Pour moi le scénario est clair, ne cherchons pas à l’amplifier, c’est le risque de nous décrédibiliser ; tenons-nous en aux faits qui se suffisent à eux-mêmes, voilà ma conviction
-    Tu me déçois dans ce cas ! Ma parole, on dirait que tout ce qui dénote de ton point de vue est effacé sans autre forme de procès,  c’est ça la justice ? C’est ça la vérité ?
-   Sois lucide un instant : quand bien même tu me sortirais un coupable idéal, arrivé par surprise, diligentant l’affaire depuis le début, cela ne me suffirait pas, tu vois. Moi, je dois défendre un dossier solide, qui tienne la route, c’est ce que tu t’obstines à ne pas comprendre. On ne raconte pas de belles histoires au tribunal, on remue la lie du genre humain, des faits atroces, l’insanité : c’est ça mon quotidien, qu’est-ce que tu crois ? Des histoires tristes à pleurer, parfois sans queue ni tête, des actes monstrueux au service de cerveaux aliénés, nourris par la publicité et les feuilletons de la télévision, alimentant les colonnes des journaux ou la une du vingt heures, c’est tout ! Rien que ça ! L’âme humaine est vide, il n’y a pas à chercher un sens à cela ; Dieu est mort, ma petite !
-   Une vieille histoire de vingt-deux années,  orchestrée par le seul témoin direct en relation avec les trois victimes : ce couple diabolique et leur coupable engeance. C’est bien ainsi  que Monique Massier devait qualifier ce trio envahissant : une artiste défenestrée, un mari alcoolique et un enfant perdu. Un enfant qui lui était interdit ; et ça n’a aucun sens selon toi ? Regarde les choses en face ! Et c’est toi qui me demandes de faire preuve de lucidité ?
-   OK, alors dans ce cas, explique-moi le mobile de son crime.
-   La vengeance, tout simplement
-   Parfaitement : ton hypothèse est on ne peut plus simpliste, même si elle est attrayante; mais pour l’instant, à moins que tu me le démontres, aucune preuve matérielle ne vient soutenir ton brillant postulat.
-   Et la lettre ? Tu ne vas pas en parler ?
-   Bien sûr que si :  c’est le fondement du piège que Charles a construit autour de Colt, alias Clotilde, alias Emma..
-   Et bien moi, je reste persuadée que Charles n’a jamais pris connaissance de cette lettre adressée à sa femme, Monique Massier, tu t’en souviens ?
-   Tu as vu qu’ils n’avaient aucun secret l’un pour l’autre…Non, il l’a lue, c’est sûr. C’est marrant que tu continues à défendre un sinistre salopard…
-   Charles n’aurait jamais attendu vingt-deux ans pour assouvir un fantasme de cette envergure, non, ça ne tient pas. Et je te le prouverai ! »


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