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Les Ibères

Publié le 12 juillet 2009 par Ellen
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Avant la colonisation romaine, la Péninsule abritait une civilisation riche, productrice d'un art étrange et, pourtant, longtemps restée méconnue. Une exposition et une étonnante leçon d'histoire à Paris

Comment a-t-on pu les ignorer si longtemps? Du rocher de Gibraltar au delta du Rhône, les Ibères ont bâti des villes, cultivé les plaines, enterré les morts et prié les dieux. Entre la fin de l'âge du bronze - vers le VIe siècle avant Jésus-Christ - et la colonisation romaine, ils inventent, sur les bords de la Méditerranée hispanique, une culture originale. Pour Pierre Rouillard, un des commissaires de l'exposition Les Ibères, «empruntant chez les Grecs, les Phéniciens et les Carthaginois, les Ibères ont créé avec leur génie propre tout un monde, oublié jusqu'à présent sur la carte des civilisations méditerranéennes».

A voir leurs oeuvres, superbes et déroutantes, exposées pour la première fois en France, on ne peut pas s'empêcher de penser aux Etrusques, les maîtres, à la même époque, de la péninsule italienne. Seulement, les archéologues ont mis beaucoup plus de temps à reconnaître le phénomène ibère. Il y a à peine cent ans, Pierre Paris, un professeur français fou de l'Espagne, démontrait l'importance de leur art étrange. Inspiré, il fait acheter pour le musée du Louvre le buste de la Dame d'Elche, la sculpture la plus célèbre de l'Antiquité hispanique. Un torse de calcaire découvert près d'Alicante, qui n'a rien en commun avec les sages portraits de matrones romaines contemporaines de Jules César. Pendant des décennies, les experts ont glosé sur son incroyable coiffure - des tresses enroulées sur les oreilles, décorées de fleurs et de rosettes - sur ses bijoux extravagants - des boucles d'oreilles géantes et un pectoral à pendeloques. Ils y ont vu un air d'Egypte, de Mycènes ou de Sicile. Erreur, affirme le Catalan Pere Bosch-Gimpera dans les années 30, il s'agit de l'un des chefs-d'oeuvre d'une culture unique, celle des Ibères. La Dame sera d'ailleurs rendue à l'Espagne en 1941.

Depuis les années 80, la génération d'archéologues de l'après-franquisme se passionne à nouveau pour cette période de son histoire. Grâce à eux, on en sait maintenant beaucoup sur les Turdetans, les Olcades, les Indicetes et autres Suessetans installés le long de la grande voie qui mène du couloir rhodanien à l'embouchure du Guadalquivir. Un chemin emprunté par Hannibal lorsqu'il se lance, avec ses éléphants, à la conquête de l'Italie. Une route que Rome, triomphante, baptise Via Augustina. La terre est riche, l'eau abondante, les mines de cuivre, d'argent et de fer affleurent sur les flancs des montagnes. Promesse de prospérité qui pousse les Phocéens et les Puniques à créer des comptoirs. Embauchés comme mercenaires, les soldats ibères partent à Athènes ou à Carthage, faisant, selon Jean-Pierre Mohen, l'autre commissaire de l'exposition, «le lien entre l'est et l'ouest, entre le nord et le sud de la Méditerranée».

Très vite, les villages se transforment en villes fortifiées, comme à Ullastret, l'un des sites les mieux conservés de Catalogne: en tant qu'urbanistes, les Ibères avaient peu à envier aux Romains. Tout près, à Calafell, sur la côte, l'archéologue catalan Joan San Martin a reconstitué un village d'il y a deux mille cinq cents ans. Les collégiens y défilent pour une leçon d'histoire très concrète. Dans les maisons basses - avec patio - ils s'étonnent devant le métier à tisser, se déguisent avec les capes de lin et de laine, manipulent les ustensiles de cuisine, les outils agricoles et les falcatas, ces sabres étranges en forme de faux. Le silo à grains, le moulin à huile, les étables, les ateliers, tout cela respire une aisance peu commune à l'époque préhistorique.

C'est face à la ville, sur une colline, que les Ibères installaient systématiquement leur nécropole. Originale, elle aussi. Les tombes y sont entassées en couches successives, autour d'un monument princier. Les objets enfouis avec les morts suggèrent des rituels sophistiqués, peut-être des banquets d'adieux. C'est là qu'on a découvert les plus belles sculptures de pierre et les innombrables ex-voto de bronze. El Cerro de los Santos, dans la province de Valence, pillé depuis le Moyen Age, Pozo Moro, près d'Alicante, Baza, où était enfouie une énigmatique statue de femme voilée, Cerrillo Blanco Osuna et Porcuna, au nord de l'Andalousie, qui a livré, voilà vingt ans, un millier de têtes sculptées, comme celles qui fascinaient Picasso, sont les lieux prestigieux de cette chasse aux souvenirs.

Sur les hauts-reliefs défilent tous les personnages de la cité, les princes-guerriers aux boucliers ornés du loup protecteur, les dames parées comme des idoles, les chasseurs lancés à la poursuite de fauves réels ou imaginaires. Une débauche de sphinx, de griffons, de taureaux à tête humaine, de monstres qui plongent leurs victimes dans des chaudrons. Les ex-voto de bronze racontent, sur un registre plus familier, la vie et les rêves des citoyens de l'Ibérie: les orantes prient les mains ouvertes, les lutteurs exhibent leurs corps nus, les cavaliers s'embarquent pour l'au-delà. Pour une histoire qu'ils reviennent, aujourd'hui, nous raconter.

Par Monier Françoise, publié le 16/10/1997 - L'express.fr


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