"J'écris en ce moment depuis une ville qui a subi plus de vingt ans de guerre civile. J'ai vu comment l'individu devient un meurtrier du seul fait de posséder un fusil; comment la moindre différence de nom, de prononciation, de lieu d'habitation, suffit à justifier l'agression. J'ai vu comment les principes, les valeurs, les nationalismes deviennent des programmes d'élimination de l'autre; comment des gens ordinaires, pris dans le flot de la férocité, deviennent des collectionneurs de membres humains. Dans sa férocité, l'humanité est capable d'être impitoyable et de détruire ses valeurs. D'où la nécessité d'un art innocent qui, quoi qu'il arrive, ne devienne un outil sanglant; ce peut-être la musique, cet art, ou la poésie. Quand Hölderlin parle de l'innocence de la poésie, peut-être signifie-t-il quelque chose de ce genre. Nous avons besoin d'un art non agressif; d'un art faible, délicat, incapable de se transformer en trompette de guerre. (...)
Les poètes restent jeunes comme les désirs qui ne se réalisent pas et le poème est avant tout un désir chaud et concret qui, d'une certaine manière, se réalise en mots. Le poème souvent est élan, ferveur, passion, chant pour l'autre, pour l'ami, le compagnon. Brutal, même brutal, il purifie de la férocité; atroce, s'il lui arrive de l'être, il purifie de la haine. Il reste, en tout cas, acte d'amour, acte d'innocence; bien plus, il est promesse de commencement: à tout âge, avec tout poème, commencer est possible. Ainsi, jeunes gens, vous pouvez commencer."
Abbas Beydounn poète libanais.
Coquillage
La mer est absente mais, d'une certaine manière, elle est là, sur la nappe dépliée, parfaitement lisse. Pas besoin de grondement.
Pour prendre vie, il a suffi d'un souffle sur une terrasse à ciel ouvert, prête à exister sur le bout d'une allumette. La mer est absente, mais s'exhalent des vagues d'iode du coffret de ténèbres.
Celui qui ouvre un coquillage, celui-là ne peut oublier l'âme qu'il a épousée un jour, ni le sel, à chaque instant, si près d'aspirer une âme.
Abbas Beydoun
Texte et poésie traduits de l'arabe par Anne-Marie Luginbuhl et Khaled Falah
Lettres à la jeunesse - Librio n° 571 -
Je ne peux hélas vous indiquer le nom de ce coquillage, dont j'ai découvert la photo sur le net. Il a été évocateur de souvenirs, je l'avais oublié...Un exemplaire identique a vécu dans ma chambre de jeune fille pendant des années... il avait été offert à ma mère par quelque estivant parti se reposer au bord de la mer...et avait été affublé du nom d'une station balnéaire et d'un thermomètre... Vous savez tous ces objets "décoratifs" qui atterrissent chez vous un jour et qui s'ils se multiplient ont vite fait de transformer votre intérieur en "musée des horreurs"... J'avais bien vite dépouillé ce pauvre coquillage, de ses ajouts incongrus.La peinture indiquant le nom de la ville n'avait pas résisté à quelques coups d'ongles... le thermomètre accroché avec du fil de laiton, avait été déposé.. Le coquillage seul avec sa belle nacre irisée, était resté, marqué de quelques petits trous il est vrai...