Un homme affable VII.2

Dans la voiture, nous avons commencé par évacuer la pression en nous moquant grassement du bon docteur Akhamlich ; aucune des suspicieuses hypothèses qui m’assaillaient ne furent épargnées à Paul, qui avait recouvré le visage ouvert d’avant l’entrevue. Si je n’avais pas  partagé sa table, je l’aurais pris pour le flic lambda auquel il ne fait pas bon se frotter ; j’étais impressionné par la facilité avec laquelle il avait durci le regard, baissé la voix en articulant chacun des mots qu’il semblait soupeser avant de choisir, et ce petit geste brusque apparemment anodin avait produit son effet sur l’inébranlable docteur. A son tour, il me remercia d’avoir rempli à merveille le rôle de potiche en ayant su tenir ma langue.
«  Surtout, à la fin, j’ai eu peur que tu ne tiques et mettes mon plan à plat ;
-   A plat ton plan ? Mais lequel ? Ta sortie sur la Massier ?
-   Ben ouais, un coup de bluff, pour jauger la capacité d’encaissement d’Akhamlich
-   Tu veux dire que tu as lancé ça comme on tend un appât ? Alors là, double chapeau, je n’ai douté de rien…
-   Hé hé, un flic doit de temps en temps savoir improviser et même jouer la comédie, c’est ce qui me plait dans ce job ; bon, je t’avoue que cela n’arrive pas si souvent mais quand l’occasion se présente…
-   Je suis d’accord pour qu’on se tutoie aussi ; enchantée de faire ta connaissance, cher Paul. Ainsi Fabien avait raison, une fois de plus….
-   Alors, toi et lui….
-   Nous partageons l’affaire mais au rythme où elle se complique nous ne serons pas trop de trois, tu ne crois pas ?
-   Pas de souci, on a toujours tout partagé avec Fab’
-   Même pas en rêve si des fantasmes éculés te viennent à l’esprit
-   Moi ? Mais, je suis un flic, madame ! Il n’y a pas plus conventionnel que moi. Mais revenons plutôt à ce docteur, que lui as-tu dit en partant ?
-   J’ai pris rendez-vous. Demain matin, même heure.
-   Quoi ? Mais tu déconnes ou quoi ?  Qu’est-ce que tu as en tête, hein ? Il te plait ce vieux beau ?
-   Mais arrêtez à la fin ! ça n’a rien à voir, j’ai simplement une intuition…
-   Une intuition ? Voyez-vous ça et à quel sujet, s’il te plait ?
-   Ce sont ses yeux.
-   Ah ! Je comprends, bien sûr !
-   Je suis sûre qu’il pratique l’hypnose. Demain, c’est ce que je lui demanderai sous un prétexte quelconque, ce type est louche, c’est un pervers, je l’ai tout de suite senti
-   Oublie cette mauvaise idée illico ! Tu t’es grillée en te montrant avec moi, il ne prendra aucun risque mais dis-moi plutôt ce que tu penses de cette nouvelle coïncidence.
-   Depuis quand la Massier le consulte-t-elle ?
-   J’en sais fichtre rien, je te dis, j’ai tout inventé
-   J’en reviens pas ; il va falloir que tu éclaircisses ça. L’a-t-elle choisi parce qu’il soignait Clotilde ? Dans ce cas, il va bien falloir que tu conviennes qu’elle avait lu la lettre et n’ignorait rien de l’existence de la fille de Mona,
-   Ou alors  elle l’a croisée dans la clinique par hasard ; le docteur lui aurait ensuite fait part de sa thérapie révolutionnaire à défaut d’être littéraire.
-   Tu les crois amants ? Ils formeraient un beau couple, tu ne crois pas ?
-   T’exagères là ! C’est dingue comme ton imagination part au quart de tour, fais gaffe, on ne va bientôt plus pouvoir te suivre
-   Ce soir je vais écrire à Louve Solitaire en privé, lui raconter un amour perdu ; j’aurais la cinquantaine et mon mari m’aurait quitté pour une jeunesse, c’est crédible, non ? Et parfaitement banal ; et si je lui disais que je m’étais décidée à consulter ?
-   Elle va se méfier, non, ne va pas trop loin. Et brode surtout, sur ta solitude, ton amertume suite à cet abandon, enfin je te fais confiance, mais pas un mot de la clinique ou du docteur, ok ?
-   D’accord, promis. Tu me tiendras au courant pour la Massier ?
-   Tu ne l’aimes pas, n’est-ce pas ?
-   Pas particulièrement, mais une fois qu’elle sera en taule, je lui enverrai des oranges, ça aussi je te le promets.
-   La coupable idéale, hein ? Un peu trop simple pour moi, tout de même…
-   Trop simple ??? Elle est bonne celle-là ! Je n’ai jamais été mêlée à une histoire plus complexe et si je me décidais à l’écrire, je serais pratiquement obligée de l’édulcorer pour la rendre vraisemblable, c’est ce qui me tue.
-   Allons, tu verras, on s’approche du dénouement…Moi, c’est ce docteur qui ne me plait pas ; l’hypothèse d’une complicité n’est pas à rejeter immédiatement. Je vais réfléchir à ce rendez-vous, je t’appelle dans la soirée pour t’en dire plus, d’accord ?
-   Je serai chez moi, je ne bouge pas, tu peux appeler. A ce soir, donc et merci de ta confiance, c’est vraiment sympa…
-   Remercie Fabien, c’est bien la première fois qu’il insiste autant pour me mettre quelqu’un dans les pattes, mais ça va, tu es ok ; je lui donnerai mon feu vert…
-   Ton feu vert ? Arrête ça ! Fabien et moi sommes amis, et j’y tiens beaucoup alors ne te mêle pas de ça, surtout »