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Un homme affable VII.3

Publié le 15 juillet 2009 par Sophielucide

Ma réponse à Louve Solitaire s’inscrivit dans un lyrisme mièvre qui m’amusait toujours :
« Chère amie, (si vous me permettez cette familiarité)
Je suis très émue par votre commentaire sur mon poème ainsi que votre petit mot sur ma messagerie. Je suis novice ici, ignore encore les us et coutumes qui régissent un site littéraire mais je m’étonne moi-même de me prendre si rapidement et si facilement à ce petit jeu, qui je dois l’avouer, comble un peu ma mélancolie, pour ne pas dire ma solitude. Après plus de vingt ans passés aux côtés du même homme, j’ai encore du mal à me repérer dans le temps et l’espace tant ma vie était suspendue à la sienne. Cet homme est parti, il y a peu de temps, sans crier gare, sans même me reprocher quoi que ce soit. Tout juste ne s’est-il pas excusé de cet abandon tel qu’il le qualifiait lui-même. Je ne sais même pas si le fait d’être partie avec sa jeune et jolie secrétaire ne m’apporte pas cette vaine consolation qui nourrit paradoxalement le mépris que je ressens à présent pour lui, pour moi, pour le couple que nous avons formé pendant toutes ces années. Un couple sans histoire, comme on dit ; un couple qui force l’admiration et le respect. Tout cela était bien sûr illusoire et confortable à vivre. Finalement, je perds plus un complice ou un frère qu’un homme ou un amant. Je m’aperçois alors que je vous écris, à vous, une parfaite inconnue, à quel point je me suis égarée moi-même en voulant à tout prix construire une existence semblable à celles des autres. Avec son petit cocon douillet qu’il fait bon retrouver le soir, ses week-ends culturels et ses vacances studieuses, ses habitudes tranquilles qui nous font nous oublier nous-mêmes. Ce soir, la prise de conscience de cette supercherie m’est insupportable et je ne peux à présent m’empêcher de m’interroger sur les supposées frasques d’un mari auquel, je n’avais jusqu’ici rien à reprocher. A-t-il enfin trouvé la passion qui le faisait rêver ? Et moi ? M’est-elle interdite à jamais, cette autre illusion ?
Excusez cet épanchement, chère Louve Solitaire. Vous évoquiez vous-même une situation similaire, sachez que si tel est le cas, si vous-même avez connu ce désarroi profond qui s’apparente à un miroir dont le reflet ne renvoie qu’une image qu’on pensait déformée mais s’avère réelle, alors sachez que je suis de tout cœur avec vous. Peut-être tenons nous alors un rôle que nos propres mères avaient préparé pour nous et ce constat représente  pour moi une trahison de plus.  A cinquante ans passés de quelques mois, n’est-il pas ridicule d’entamer une rébellion ? Car c’est ainsi que je ressens les évènements à présent : je me sens incomprise et cela me révolte, j’ai la sensation d’avoir raté un épisode de ma propre histoire,  de m’y être oubliée tout simplement parce que l’autre usait mon énergie. Je conçois bien évidemment   la banalité de cet état de fait et c’est ce qui me déprime si profondément. Avoir su mettre à plat une part infime de cette tristesse latente est un premier pas pour moi, un pas libérateur, un pas qui soulage, un pas qui, je le sais déjà, mènera au suivant. Alors pour cela, rien que pour ça, je vous remercie de m’y avoir aidée. Amitiés. Rrose. »

J’envoyai ce message d’un clic, décidément tout était si simple dans cette virtualité : comment ne pas céder à ces sirènes alors même que l’on sait qu’elles ne sont que mirages ? Désormais, j’attendrai une réponse puis enverrai un autre message et une nouvelle relation, même bâtie sur un mensonge naîtrait tout de même.  Je me sentais jubiler un instant  derrière mon écran, avant de me reprendre tout aussi rapidement. Il m’apparut soudain nécessaire, si je ne voulais pas me perdre moi-même dans cette histoire, de rédiger une autre lettre, que je n’enverrai à personne mais qui m’ancrerait à nouveau avec une  réalité, la mienne, celle à laquelle je tentais d’échapper en me plongeant dans ce mauvais roman de gare.

«  Bientôt trois semaines de ma vie dans une parenthèse que je dessine moi-même, que je ne veux pas fermer, qui me fait exister. Voilà la triste résonnance d’un sordide fait divers, comme une flaque de pollution que l’on enjambe sur un trottoir humide. Aux reflets d’arc en ciel qui s’y dessinent parce qu’y flotte un parfum de romance. Comprendre, peut-être ; chercher une vérité, ok, mais s’y trouver aussi. Se laisser surprendre par un désir arrivé par hasard, comme tout le reste d’ailleurs, et s’y agripper coûte que coûte. Reconnaître en chacun des protagonistes une autre version de soi-même, se consoler de cette humanité dégoulinante. Et sentir un vertige face à cette reconnaissance. Peur de gâcher encore, peur de se tromper, besoin de savoir tout de même.
J-5. Que se passera-t-il ? Aurons-nous approché du dénouement comme le prévoit Paul ?  Ce type diligenté par Fabien.  Arrivé lui aussi au moment d’un possible embourbement. Ne pas croire au hasard mais s’y heurter sans cesse. Sommes-nous si orgueilleux et imbus de nous –mêmes pour refuser d’admettre l’utilisation que nous concevons les uns des autres ? Ce serait tout de même plus simple d’admettre cette infime portion de réalité : deux êtres attirés l’un par l’autre. Point. Est-il besoin d’épiloguer là-dessus ? Se convaincre d’une quelconque utilité pour donner un sens à ce qui est insensé ? Je ne pense pas. Je ne veux pas. Je saurai. Dans cinq jours… »


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