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Des cris et des coups

Publié le 15 juillet 2009 par Cameron

Ce sentiment-là, je m’en souviens, il a cheminé en moi toutes dents dehors, comme un minuscule poing foreur et vivant. Il n’a pas rôdé, il a creusé, creusé jusqu’à l’excavation totale, sans se soucier des sillons de chair retournés sur son passage. Il s’est fait de la place, oui. Au détriment de moi.

C’est en ne lui donnant aucun nom que je l’ai apprivoisé.

La discrétion n’est pas son genre. Quand il est là, il tient à le faire savoir, et les joues creuses, les yeux las, le corps qui tremble, c’est son petit monde à lui s’installant peu à peu. Une déferlante ? Jamais, hélas. Jamais rien d’aussi spectaculaire, jusqu’à la déflagration finale. Je ne sais pas de quoi il prend la place à l’intérieur, de quelque chose de vital, sans doute, quelque chose sans lequel on ne peut pas être, mais une fois qu’il est là, bien au chaud, c’est de lui que naît… tout. Y compris la joie.

Certains jours, c’est un enfantement sans douleur. La réalité d’une émotion perçue au travers de tout le corps, physiquement installée, irradiante, irrépressible. Parfois, aussi, lui niché au creux de soi n’est que la bête immonde, et l’étranger devient soi. Le soi d’avant, le soi qui ne savait pas ce que c’était, la liberté.

Ce sentiment-là, il ne meurt pas. Il ne tue pas non plus, d’ailleurs, presque pas, ou alors c’est un accident de parcours. Non, lui, il accumule. Les pensées et les chagrins, les petites exultations quotidiennes, le murmure de toute vie vécue, c’est son trésor à lui. C’est ce qui le solidifie peu à peu.

Il n’a pas de nom. Pas de début. Une fin peut-être, en même temps que soi. Un jour, il y a longtemps, il n’était pas là. Je m’en souviens.


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