Magazine Journal intime

Soldat

Publié le 15 juillet 2009 par Lephauste

Puisqu'il faut faucher, faire des moissons de jeunes crânes casqués, réunir en faisceaux à la nuit tombée, les armes de nos vingt ans. Puisqu'il faut se résoudre à l'évidence, que rien ici ne fera la vie tranquille, l'insouciance à peine démobilisée, les joies insignifiantes d'une tendre assemblée, je me suis fait, comme on dit, soldat. Je n'ai pas vingt ans et je suis déjà démineur. Mon métier ? Aller là où les marchés conclus ont laissé à fleur de terre l'acier au bord de déchiqueter tout ce qui ne fait pas le poids. Je suis soldat de la Nation et je travaille pour l'industrie. Je chante des chants de guerre pour couvrir le feulement des fauves en limousines. Je salue, énonce au garde-à-vous, le nom de mon unité, le grade, mon numéro matricule, celui de ma compagnie. Je marche de nuit, je simule des attaques à l'arme blanche, je creuse des trous où je m'enfouis, j'en chie, je pleure, parfois. Mais je chante des chants de guerre à gorge déployée, ma gorge qui demain peut-être sera rouge de l'éclat des aciers trempés, je ne sais où, je ne sais par qui, je ne sais par quel esclave. Mon frère peut-être.

Avant ? Je ne me souviens pas très bien. Deux choses, j'étais le buteur d'une équipe de basketball, une fine équipe d'amis, à la vie à la mort, je courais à me couper le souffle, vif j'étais, le plus rapide de tous, un éclair de génie dans la raquette. Et puis ... Et puis je cognais comme un sourd, Woodoo child, Another Paradise, c'était mon groupe, la batterie, ça c'était mon songe, ma voix dans le désert, ma syncope divine dans les accrocs de Fender. Avant ? Mon père syndicaliste bafoué, la tise, l'hosto. Avant ? Non, ça suffit !

Je n'ai pas encore vingt ans mais je sais déjà que vivre ne vaut rien. Je ressemble déjà à la balle qui m'attend là bas, dans six mois, en Afghanistan. Je n'ai pas encore vingt ans et mon prénom ne vous dirait rien. Puisque rien ne vous dit en sommes que de vous détendre à l'arrière des lignes en dînant bio de la chair à canon que l'industrie fournit avec les munitions.

(ce bref instant est dédié à Nico, basketeur de talent, batteur de ce bon vieux rock n'roll, jeune démineur de Dix neuf ans. Et à ceux et celles qui n'imaginent pas qu'à dix neuf ans, on peut mourir pour le plein de gasoil dont ils ont besoin pour vivre en fauves de pacotille.)


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