Je me lève ce matin et j'ai un peu la tête en vrac. Il faut dire que hier soir, je me suis mis chanmé minable à la bière tout seul avec Butch - c'est mon seul ami, un vrai, un tendre - et du coup le réveil est un peu laborieux. Ce serait drôlement sympa de passer la soirée avec des garçons à la nuque bien dégagée, comme moi. Et je tiens à préciser que je ne suis pas chauve. Je me coupe les cheveux très très court. Ce n'est pas pareil.
Les gens aux nuques dégagées, c'est la compagnie que je préfère. D'ailleurs, quand je suis dans cet entre-soi viril et gueulard je me sens à ma place, bien mieux que dans des soirées de bobos efféminés et prétentieux que naturellement, je déteste. De toute façon, la seule façon de me retrouver un jour à l'intérieur d'une jolie femme, c'est si je deviens donneur d'organes. Et encore.
De suite, parce que mal aux cheveux ou pas, être discipliné c'est important, j'enchaîne les pompes et les abdos. Mon papounet aime que je sois en forme. Papounet, c'est Josef Djougachvili, et il aime les corps d'athlètes, d'Homme Nouveau. Alors je transpire un bon coup en faisant de l'exercice physique, pas comme ces pédales soc-dem aux muscles mous dominés par leurs bonnes femmes hystériques, ça non alors. Regardez Hollande et son ex-mégère !
Et puis, j’aime la discipline, l'ordre, la cohésion, indispensables pour réussir un mouvement violent et faire plier les récalcitrants. Ainsi, je travaille devant la glace chaque matin pour me donner des airs de dur, de petite frappe bolchévique capable d’obéir au doigt et à l'oeil à la hiérarchie du parti, oligarques qui prennent des décisions dans le secret d’un politburo qu'on ne voit jamais. Alors je m'imagine, plus tard, en grand chef donnant des ordres moi aussi, après avoir gravi un à un les échelons du parti, pour accéder au stade du soviet suprême. Bon, pour l'instant je fais le service d'ordre à la manif, c'est déjà pas mal, ça me donne l'occasion de casser de l’ennemi de classe quelconque qui passerait à la portée de mon bâton. Si en plus l'ennemi pouvait être juif et fils de banquier, ma jouissance en sera décuplée. Je serre mes petits poings boudinés, enchaîne les exercices physiques, les pompes et les coups de poing dans les sacs de courrier de La Poste, cette salope en voie de privatisation qui fait trimer mon patron entre deux plateaux télé.
Et quand on aime son papounet Josef, on prend soin de son corps tout le temps. En plus, comme je suis un peu taillé crevette à la base, j'ai besoin de me faire pousser des muscles que je tenterai de mettre en valeur avec un t-shirt CheGuevara moulant. Brought to you by capitalism, of course.
En faisant ma muscu du matin, je pense au camp d'été du mois prochain, qui formera la future Garde de Fer, où je vais me retrouver avec tous mes amis du NPA, parce que eux, pendant que les imbéciles heureux corrompus par la propagande ultranéolibérale ne pensent qu'à se prélasser sur les plages, eux, ils vont préparer la Révolution Rouge et apprendre le coloriage. Et puis y'a aussi des moments marrants, quand même, comme l'année dernière où on s'était tous mis à poil pour se jeter dans la rivière en se mettant des grandes claques sur les fesses. Je repense à ce chouette moment sympa et je souris. Y avait pas de meufs non plus, d'ailleurs, mais bon, franchement, c'est peut-être pas plus mal. Les meufs du NPA, elles sont un peu féministes hystériques, des fois. C'est chiant, ces filles, c'est compliqué, et ça veut des trucs que j'ai bien du mal à piger, décidément. Heureusement, Butch est là.
Je prend ma douche et me dépêche de chausser mes bottes de combat, mon streatwear à moi, parce qu'aujourd'hui j'ai rendez-vous avec mes camarades de lutte de la CGT pour faire une vidéo d'expulsion de clandés. C'est qu'il faut bien montrer à ces enfoirés qui piquent le travail des prolétaires français, qui mène la danse dans ce pays, tout de même.
Après, on ira casser du juif libéral. Parce que je n’aime pas les juifs. Comme Papounet, et comme Tonton. Tonton Marx, il n’aimait pas les Juifs. Vous saviez pas ? Pourtant, c’est lui qui a dit ça, dans « La Question Juive » :
« À quel titre, Juifs, demandez-vous donc l'émancipation ? A cause de votre religion ? Elle est l’ennemie mortelle de la religion d'État. En tant que citoyens ? Il n'y a pas de citoyens en Allemagne. Parce que vous êtes hommes ? Vous n'êtes pas des hommes, pas plus que ceux à qui vous faites appel.(...) Ne cherchons pas le secret du Juif dans sa religion, mais cherchons le secret de la religion dans le Juif réel. Quel est le fond profane du judaïsme ? Le besoin pratique, l'utilité personnelle. Quel est le culte profane du Juif ? Le trafic. Quel est son Dieu profane ? L'argent. Eh bien, en s'émancipant du trafic et de l'argent, par conséquent du judaïsme réel et pratique, l'époque actuelle s'émanciperait elle-même. »Et Papounet ne supporte évidemment pas les pédés - dont beaucoup sont riches, on ne le sait pas assez - là, c'est simple, s'il y a bien une catégorie de gens que je ne supporte pas, c'est les pédés. Plus que les riches, les juifs et les clandés, c'est dire. Parce que les riches, ils n'organisent pas des Patron's Pride, manquerait plus que ça !
Parce que faut bien comprendre que les pédés sont devenus des pièces maîtresses de la société de consommation capitaliste, qui se fait une joie de les récupérer en les intégrant au système marchand, par mille petites coquetteries dont ils rafollent. Le système capitaliste leur offre ce que jamais, ô grand jamais, aucun système communiste en uniforme totalitaire producteur de pénuries ne pourra jamais : point de « mode gay » en système collectiviss. Point de mode du tout d’ailleurs, ce serait une régression bourgeoise ! Signalons à nos camarades délateurs de gôche que les gays et cons peuvent être dénoncés et listés sur mon autre blog, où donne aussi dans le cliché soralien une autre danseuse rouge-brune comme moi.
Alors le spectacle de ces folasses torse nu qui dansent sur des chars en transpirant, moi, ça me plonge dans des rages terribles, et puis elles enquiquinaient violemment Papounet, en son temps. Je sens monter en moi comme une envie de goulag, de chars, une envie de camps pour homosexuel, comme mon ami Castro en avait jadis instauré à Cuba dans l'île aux barbus, véritable petit paradis terrestre tropical où les pédés rejoignaient les autres déviants.
Les pédés, c'est pas des vrais hommes, les vrais hommes ça se dandine pas comme ça. Un homme se tient droit. Hiératique. Dur. Les mâchoires verrouillées et le regard tourné vers l'Organe. Le Central. Celui du Parti, hein. Ça se laisse pas aller à cette décadence libérale - et embourgeoisée - et heureusement qu'il existe des hommes fiers et droits et durs comme Papounet, moi et mes potes pour enrayer ce déclin.
C'est le monde que je veux : un monde d'hommes fiers et droits, durs, violents, comme dans le film « Soviet Story », ce chef d'œuvre qui est mon film préféré et qui me fait rêver de vivre au milieu de ces bolcheviks aux abdominaux saillants qui se battent pour leurs valeurs. Ouais. Je repense aux légions de Trotsky et un frisson exalté me parcourt la nuque. Celle que je rase consciencieusement comme Ernst Röhm jadis. Voilà l'exemple à atteindre !
La discipline. C'est à ça que je pense quand je vois ça. Discipline, testostérone et ordre nouveau. Il faut être discipliné pour ne pas se laisser aller, pour vaincre et dominer ce qu'il pourrait y avoir de bourgeois en soi, pour devenir dur, physiquement, moralement, mentalement afin de faire face à la propagande consumériste et publicitaire; il faut une discipline de fer pour rentrer dans la Garde Rouge, pour ne pas se laisser emporter par le flot de liberalisation du cul et de la pornographie, qui sont autant de distractions bourgeoises coupables de détourner le peuple de sa sacro-sainte mission révolutionnaire et évangélisatrice de la religion collectiviste. Je me dis que je dois être plus discipliné. Encore plus. Il le faut. C'est la survie de l'Organe qui est en jeu. Le Central. Suivez, quoi.
Ensuite, j'irai boire un Monaco tout seul, moi, mon bomber et mes cheveux très très courts. Butch est resté à la maison. Il boude, et je ne sais même pas pourquoi. Moi, j'aimerais bien fréquenter des gens qui sont comme moi, unis dans le même combat antilibéral, fiers et dressés contre l'ennemi bourgeois et néolibéral. Mais je crois que j'en fais trop. Beaucoup trop.
Mon t-shirt xxs estampillé Che me couvre à peine le nombril. J'ai un peu froid, seul, sur la terrasse, avec mon Monaco.
Je rentre chez moi, ivre de tout cet alcool – j’ai bu le Monaco cul sec, aussi - et un peu triste. Je crois que je les fais bien rire, les libéraux, avec mes saillies. Je vais me coucher, fourbu et malheureux : je me sens las, sans avoir réellement travaillé. Je ne sais pas évacuer un peu de cette aigreur qui me bouffe depuis des années et dont je ne vois pas vraiment d'où elle me vient.
La nuit, je fais des cauchemars que je ne sais pas oublier au réveil.