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Un homme affable VII.5

Publié le 16 juillet 2009 par Sophielucide

A l’évidence, mon euphorie ne pouvait n’être que passagère  ;je la sentis dégouliner peu  à peu et lorsque je raccrochai d’avec Fabien, il n’en restait à peu près rien. Je n’avais même pas eu le temps de la déguster, je l’avais laissée fondre sous mes yeux, impuissante, ne me restait qu’une vague consternation, cerise confite et rabougrie  qui ne m’inspirait que du dégoût.

Finalement ma connaissance en matière de psychologie masculine avoisinait le degré zéro et à mon habitude j’avais surestimé la capacité du mec à conjuguer humour et sexe,  en imposant peut-être un rythme accéléré à la suite du scénario. Dès lors qu’on parle librement et sans tabou du domaine réservé, de l’amour auquel on ne colle pas le A majuscule imposé, on se condamne à jouer le rôle ingrat de confidente.  Il n’était plus question de compte à rebours ridicule à la fin de notre conversation laborieuse, ponctuée  de silences.

Je commençais par m’en vouloir, bien sûr.  Je déteste le téléphone, pourquoi l’avoir appelé ? Quelle mauvaise idée ! Ne pas voir son interlocuteur coupe l’inspiration, manque d’imagination ? Je frottai frénétiquement mon oreille qui chauffait tout en sifflant telle une cocote minute, premier signe avant-coureur d’une tumeur qui résoudrait définitivement l’insoluble question de mes rapports avec les hommes.  Puis je chassai cette idée foireuse en roulant un joint et poussant à fond le volume de ma chaîne. «  He Needs Me » chantait Shelley Duvall, ce qui me fit sourire enfin et je chantai à tue-tête jusqu’à ce que mon voisin se manifeste.

Au départ, c’est le timbre de sa voix, étouffé,  qui tranchait avec l’enthousiasme de son copain Paul, qui avait déclenché la petite alarme qui m’enjoignait de raccrocher immédiatement. Visiblement, je dérangeais mais là encore, je m’entêtai à poursuivre le compte rendu que je détaillais à dessein jusqu’à ce qu’il se décide enfin à susurrer qu’il n’était pas seul, qu’il rappellerait le lendemain, que nous pouvions même déjeuner ensemble si je le souhaitais.  Cette dernière phrase prononcée annulait de fait notre convention de nous retrouver cinq jours plus tard pour fêter dignement ce pacte mort-né. Je n’étais pas madame de Merteuil, il n’avait rien du vicomte de Valmont, c’était entendu,  nos relations ne seraient, hélas,  jamais dangereuses.

Je m’étonnais tout de même d’avoir eu le réflexe de lui annoncer que je ne serai pas libre le lendemain et qu’on remettrait cela à un autre jour, avant de raccrocher pour me perdre en cette sombre introspection en forme de constat d’échec . Quelques minutes plus tard, je m’endormai avec une dernière pensée  idiote, à la Scarlett O’ Hara : « demain est un autre jour », signe incontestable qu’il me fallait revoir mes classiques et renouer avec l’ambition de me défaire définitivement de toutes ses idées préconçues sur le rôle de la femme en amour, ce rôle passif, à la limite de la soumission que je pensais pourtant avoir laissé derrière moi depuis un bon bout de temps.


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