Michanta afaire quand los capelans lauran
(Mauvaise affaire quand les curés labourent)
(proverbe occitan)
Ministre, président du conseil général, ancien major de l'ENA, diplômé de Harvard, (of course) actionnaire d'un grand quotidien (de la même tendance que lui... tiens ?), collectionnant les sièges de conseils d'administration (comme d'autres les petites cuillères), il était l'homme providentiel de ce département très rural, pas mal exigeant, (très Sud Ouest quoi !).
Il s'y était parachuté ici il y a quelques décades, par hasard... pas tout à fait : sa femme, d'une grande famille de maîtres des forges (qui ne forgent plus rien depuis longtemps mais sont toujours les maîtres), sa femme, dis-je, y avait une modeste bastide et tout un coteau dominant le fleuve... le tout inscrit à l'inventaire complémentaire des monuments historiques (la bastide, bien entendu).
Il était salué en termes affectueux du coin : « Hil dé garce (le dimanche), ou hil de puta (en semaine), era nouste ministre » (entendre : quelle chance, voici venir ce jour notre ministre) ; c'est pour dire qu'il avait eu beaucoup de mérite et d'intelligence pour s'être ainsi acclimaté, lui le parisien bon chic bon genre, au point de pouvoir monter presque à cru cette croupe retorse de l'Aquitaine.
Tout n'était pas parfais, certes... et, si l'on reconnaissait volontiers : « es u cap » (c'est une tête) sur son passage, on racontait aussitôt quelques unes de ses maladresses sur le terrain sans crainte d'être démenti... (Comme c'était le département de l'académie des menteurs... il y en avait des anecdotes sur lui !)
Ses conseillers le poussaient de temps à autre à franchir une étape de plus dans le parcours initiatique qui devait le mener de la pratique du consommé pointes d'asperges, chiffonnade de jambon de Paris, sorbet à la mangue à celle du foie gras aux cêpes, confit dans ses moundgètes (faillots) et gâteau pyrénéen à la broche... (Soit de la présidence du conseil général à la députation)
Cette marche forcée vers la gasconnade n'était pas de mon goût car je pensais qu'en lui faisant ainsi combattre les difficultés de la campagne on n'en ferait qu'un quidam battant campagne (qui dame ? aquet, lou ministre, proube de tu !)
On était au milieu du gué et je devais ma taper en week-end, pour sa protection, toutes les cases du jeu de l'oie que son brain-trust avait préparé pour lui : là, nous devions aller pour la journée en palombière et répondre ainsi à l'invitation d'un des représentants les plus chevronnés des chasses traditionnelles.
Le rendez-vous était fixé à une heure très matinale dans un bois privé ; nous y arrivâmes avec deux heures de retard : le départ ayant été différé vu les obligations de dernière minute du ministre et le fait que, sans GPS ni téléphone portable, nous avions sillonné tout le massif forestier avant de trouver le croisement de layons idoine. Personne pour nous accueillir, seule, une voiture que je connaissais stationnée sous une sorte de préau de grillage, mousse et fougères. Pour un peu on ne la voyait pas et on repartait pour un tour !
Tout le dispositif, digest entre fortifications d'Alésia et ligne Maginot, était d'ailleurs de la même inspiration : dissimulation maximale aux yeux d'un vol de palombes. Des couloirs mi-enterrés, mi-recouverts de grillage et de verdure, quadrillaient tout le sol du sous-bois. Au sommet, dans un bouquet d'arbres habilement taillés pour préserver à la fois vue et discrétion, trônait la palombière quartier général, l'oueyette (la vue en occitan), sorte de cabane, réalisée dans les mêmes matériaux sur un soubassement de planches à plus de quinze mètres d'altitude. Une échelle de bois, acollée au tronc, y grimpait presque verticale. Au faîte des arbres alentour, on pouvait apercevoir les appelants, palombes servant de leurre, encapuchonnées de cuir, les pattes liées à leur raquette (ou balance ( !), ou glane) qu'un ingénieux mécanisme permet de basculer à distance. De temps à autre on en voyait une battre des ailes comme si elle se posait sur une branche. Pour les âmes sensibles sachez que ces palombes sont en temps ordinaire choyées et même nourries de bouche à bec par le chasseur, elles ont de l'eau sur leur raquette.
Allez, sur la lancée, je vais continuer à faire de vous de vrais paloumayres. Au sol il y a encore les filets (ou pantes) constitués de deux grands cadres rectangulaires tendus de filet qui se font face et se referment l'un sur l'autre comme un livre à l'initiative du chef de chasse quand les palombes posées au sol sont jugées assez nombreuses.
Mais pour les faire descendre ces coquettes, les appelants ne suffisent pas, ce serait trop simple ! Il faut le concours des poulets (oui, vous avez bien lu, on dit aussi « piocs » : ce sont des palombes sauvages avec les ailes liées ou des pigeons sédentaires « les bleus de Gascogne ..., on croit rêver !). Sur leur traitement aussi il y a beaucoup à dire : on les fait jeûner, on leur met un fil à la patte, on les garde donc près des tunnels pour qu'ils aillent se régaler avec de bons grains disposés entre les filets, en réalité ils n'ont le temps de rien goûter car dès que le vol de palombes les a rejoints pour participer à cette grande bouffe, ils se reçoivent les pantes sur le coin de la tournante et sont ré acheminés au poste (j'allais écrire au commissariat) sans avoir picoré ni quoi ni qu'est-ce.
Il y a aussi l'espion qui est une palombe qui détecte un vol même très éloigné et qui ne le quitte plus des yeux en s'agitant avec hystérie : on la garde, sans capuchon, sur une raquette fixe à proximité de la cabane pour bien suivre ses réactions... (Ouah ! çà se rapproche !)
N'oublions pas un dernier intervenant : le rebec qui est une palombe, encapuchonnée, les pattes liées à une raquette à main (type Babington), qui produit un froufrou d'anthologie quand on précipite son support vers le bas. Ce bruit caractéristique trompe ses congénères qui croient que le vol à commencé à se poser et s'exécutent à leur tour (elle se fait ensuite traiter de barbouze par ses sœurs, je n'ai jamais compris pourquoi...)
Deux ou trois petites précisions encore, pour la route : tous les dispositifs (balances, filets, trappes pour les poulets) sont reliés à la cabane par des câbles vers une sorte de tableau de bord. Il suffit de tirer sur une boule à l'extrémité du filin pour obtenir un résultat. Le toit de mousse peut s'ouvrir entre deux vols. Les chasseurs sont à la fois groupés dans ce poste et disséminés dans les tunnels. Certains même imitent les roucoulement de la palombe. Tous ont leur fusil pour pouvoir tirer sur les migrateurs qui seraient encore au sommet des arbres quand les filets se referment.
Jusqu'à la grande fusillade, tout n'est donc que camouflage, silence, mise en situation la plus naturelle possible de tous les intervenants... le poser d'un vol ministériel allait-il bousculer cette tradition ? Que si !
Le chauffeur, avait cru bon dès notre arrivée avertir nos hôtes par un coup de klaxon acéré et, dans ce bois qui n'avait jamais connu ni cor ni même corne, ce son fut claque à rendre muets pour des lustres rossignols, merles et pipits !
Ce léger décalage se confirma au pied de l'échelle quand je vis que le ministre venait de se vêtir entièrement de jaune fluo : il avait dû à une époque s'occuper des problèmes de la pêche au flétan en Bretagne et depuis, pour lui, la nature hostile ne devait s'affronter qu'avec le ciré complet du cap-hornier ! Le président de la chasse traditionnelle, qui le vit en mettant le pied hors de la chaumine, faillit rater les cinquante trois barreaux de l'échelle. Arrivé en bas il tenta un « monsieur le ministre, il ne va pas pleuvoir, vous avez été trop prévoyant » qui ne produisit pas l'effet escompté. L'espion par contre, qu'on avait laissé se dégourdir les ailes dans la cabane, parut particulièrement attiré par cette couleur et ne voulut plus quitter l'épaule gouvernementale. (Preuve encore qu'espion et jaune vont très bien ensemble). Cette récente intimité autorisa même le volatile à honorer l'auguste plastron d'une décoration très rustique... une sorte d'ordre du mérite cynégétique.
Ce ne furent pas les seules bourdes de la journée : le rébec refusa obstinément d'agiter les ailes (probablement la timidité...vu la présence de la VIP), les poulets se déclarèrent en grève de la faim (ils voulaient sûrement être reconnus gardes du corps et non pique-assiettes).
Il n'y eut pas que le ministre et les oiseaux qui se manquèrent... les chasseurs aussi. Enfin... ils ne manquèrent pas les apéros et les différentes boissons. Ce fut très bonjour les dégâts (quoique simples dégâts des eaux pour le ministre) : on parlait d'ouvrir la chasse toute l'année, de service obligatoire dans des bataillons de chasseurs pour les écologistes et autres ornithologues, de l'avantage de n'être qu'entre hommes en palombière : cuisine enfin hautes calories, discussions enfin intéressantes, plaisanteries enfin salaces. De là on en est venu à évoquer tous les fantasmes nés des longues heures de guet entre hommes : « si un vol de bécasses (très girondes) se posait ici, pas question que je tire ailleurs ! »
Tandis que, venus des vieux brûleurs à gaz aux flammes multicolores, écrevisse à la nage ( les seules qui aient jamais nagé dans la canopée des climats tempérés), palombes en daube au Buzet, confits d'oie aux haricots verts rissolés, tourte à l'angélique, s'étalaient sur la table en pur bois de palettes, on se tapait la cloche comme pas possible, sur le tonnelet comme pas un polonais, sur le ventre comme pas un larron en foirail. (Quand je dis « on », c'est « presque tous » qu'il faut entendre... le restant - très jaune - ne se faisant pas entendre du tout
Chacun voulant augmenter le plat de résistance de la conversation y déversait l'épopée de sa première palombe, de sa plus forte biture, de son plus naïf dépucelage... Naturellement l'on en vint (hum, on y étais déjà !) aux partages de famille, aux procès pour déplacement de bornes, aux farces faites au curé, aux chefs de gare, aux vieilles acariâtres. De là on courut aux charivaris, au conseil de révision, aux pères cent, à la quille (bordel !), aux troisièmes mi-temps, à la mailloche (ou castagne) de fin de bal... le tout étant assaisonné de rires énormes et de quelques ponctuations sonores de tubas digestifs cherchant à faire de la place.
Dans le même ordre d'idée (si on peut dire) le ministre s'étant étonné de voir passer de temps en temps, derrière lui, pratiquement tous les convives, demanda : « qu'est-ce qu'il y a dans ce recoin où tout le monde se rend ? » Ce fut la limite de la congestion pour certains et le président dû se dévouer pour expliquer : « ils vont au perchoir à oiseaux, baptiser le paysage ! » et, très technique, précisa que l'on appelait ainsi le trou dans la planche du mur qui permettait de soulager les vessies avant que, lanternes, elles n'explosent.
Plus question donc pour la plupart de ces amphitryons, et depuis onze heures, de faire poser un vol de palombes, ni même de le voir. (Un vol d'éléphants roses n'aurait, je crois, pas plus attiré leur attention)
Seuls le ministre, l'espion, et votre serviteur étaient encore vigiles et seuls nous signalâmes à plusieurs reprises et en vain (...) soit le passage, soit le posé d'un vol de migrateurs. Les autres participants n'eurent aucune réaction...ils avaient la tête trop près du canon (pas du plus méchant... heureusement !)
Par contre ils ne nous ratèrent pas : pensez, le ministre, le flic et l'espion... seuls vigiles !
« Vous avez les pattes liées à une raquette comme le rébec à ne vouloir ni boire ni rigoler ? »
« Ah, ils voient des palombes, « eusses », et ils veulent les tuer ! Vous allez avoir des problèmes avec les écolos, poil aux salauds ! »
Le président voulut reprendre la situation en main, il enchaîna :
« Vous voyez monsieur ministre et notre ami, si je peux me permettre, nous sommes des gentils, tout ce qui compte pour nous c'est de nous régaler entre copains, c'est ce qu'on défend... allez, garçons, levons notre Armagnac (j'en parle souvent car j'espère qu'on me donnera un jour mon poids en Ténarèze comme Balzac eut ses melons) levons notre verre aux chasses traditionnelles ! »
Le ministre, très fair-play, très classe, (et pourtant je ne suis pas toujours tendre avec « eusses » et je ne brigue pas non plus mon poids en ministre), le ministre (on ne va jamais avancer à ce train...on dirait les feux de l'amour !) ;.. dis-je, remercia tout le monde « pour cette joyeuse partie de chasse qui l'avait vraiment sorti de son horizon habituel » (cela dit avec un petit sourire malicieux), assura tous les chasseurs « de son soutien de principe » et regretta « de ne pas pouvoir partager plus longtemps de si sympathiques libations »
Nous entreprîmes de redescendre l'échelle de la palombière, ce que nous fîmes avec vigilance et sans difficultés. Le président et quelques palombayres qui avaient tenu à nous raccompagner sans avoir même commencé une quelconque digestion (ou distillation), n'eurent pas vraiment notre agilité... Est-ce qu'ils se battirent avec l'ange de l'échelle de Jacob ? Je ne sais et je me demande encore comment ils ne s'escagacèrent pas vingt mètres plus bas : ils utilisaient en effet l'échelle rugueuse comme l'araignée flytoxée utilise sa toile avant la tétanie finale ! (Il y a donc un bon Dieu pour les chasseurs gascons... oh con !)
Ouf ! Le contact inespéré avec le sol avait dû dégager de toutes brumes le cerveau de notre hôte, car je l'entendis, agrippé à la portière du ministre plaider une dernière fois et avec Brio (qui est un bon gars du coin) la cause du loisir qu'il défendait (endurance de d'Artagnan !)
Je crois que c'est ce jour-là qu'après avoir répondu : « vous avez fait le maximum » à la question du ministre : « Ai-je été bon dans cette galère ? », que j'entrepris de le persuader de choisir les sénatoriales plutôt que la députation.(où les galères allaient être nombreuses avant d'être reconnu plus Sud Ouest que le Sud Ouest). J'avais un handicap compte tenu de l'avis contraire de ses conseillers. Il m'a finalement suivi et il est toujours sénateur.
Je crois aussi, à la réflexion, que notre visite en palombière me fut d'inspiration salutaire : après avoir été le seul à venir là en ciré jaune, seul à prendre une fiente d'espion sur le paletot, seul à bien redescendre une échelle traîtresse après un déjeuner guet-apens, (pour les philologues...voir étymologie), il avait démontré à l'envie qu'il ne jouait pas dans la cour d'un député mais dans celle d'un sénateur !
Le député colle plus au terrain, il met la parka couleur feuillage, tangue avec les buveurs, esquive guanos, fientes et autres colombins... sa circonscription,il l'aménage avec amour, il taille ce qu'il y a à tailler, installe les appelants, l'espion, le rébec... Il distribue les grains (mais pas pour les poulets), attire les nouveaux pigeons venus de loin avec sa bouche entraînée à leur interpréter ce qu'ils veulent entendre...
Allez, j'arrête, vous êtes assez forts pour continuer seuls les comparaisons... (que sont capuchons, filins, échelle, filets, coups de fusil, pigeons bleus de Gascogne, nourrissage de bouche à bec ?)
Vous trouverez, palombe d'un doute !