Chaque année sa peine…

Publié le 17 juillet 2009 par Alainlecomte

Il y a presque une année , nous gravissions les pentes des hauts cols du Nord de l’Inde. Comme c’était beau d’atteindre le Lasermo-la, à 5200 mètres, dans la neige de septembre et sous un soleil de plomb. Bâtons bien en main, lunettes de glaciers sur le nez. La descente se faisait dans une longue trace qu’avaient faite les caravanes de petits chevaux en avant de nous, et en fin d’après-midi, on mangeait la tsampa avec le berger sur son alpage, mélangée à du petit lait de brebis. Nuit sous la tente à 4700 mètres. Le lendemain, la marche se faisait dans un contexte aérien. Les petits drapeaux autour des chortens murmuraient leurs mantras aux quatre coins des vents.

Nous avons choisi une autre option cet été : le travail… C’est pourquoi ce blog va rester un certain temps austère et peu alimenté. Mon ami jmph, dans son récent billet , se demande pourquoi on compare toujours philosophie et escalade. Plus généralement, l’effort intellectuel et une marche en montagne. C’est sans doute que tout travail de l’esprit appelle sa métaphore corporelle. Mais le résultat est souvent loin d’être le même…

Je me suis engagé à écrire un livre pour un éditeur universitaire anglais, qui parlera de logique , de langage et… de ludique (!). Ecrire un livre : s’assurer à chaque mot écrit qu’on ne sort pas du sentier qu’on s’est tracé. Voyez : tout de suite la métaphore de la marche et de la voie qu’on trace.

C’est aussi une organisation de la mémoire : maîtriser son champ d’études, ne rien oublier de ce dont l’absence pourrait apparaître comme une grave lacune, comme en montagne, au moment de partir la nécessité d’avoir sous la main tout ce dont nous aurons besoin dans la journée, et de remettre au soir chaque chose en un emplacement précis où l’on est sûr qu’on le retrouvera le lendemain.

Le but atteint donnera-t-il la même satisfaction ? Rien n’est moins sûr… il faudrait être drôlement prétentieux pour affirmer que le travail réalisé nous donnera le même sentiment d’ivresse des altitudes que la cime atteinte….

Un qui atteignait à la fois les cimes de l’esprit et celles de nos Alpes était Jacques Herbrand, jeune mathématicien mort en 1931 dans un accident à la Bérarde. On lui doit beaucoup en logique, et en particulier les bases théoriques de la programmation logique.

Extrait du journal Le Temps du 29 juillet 1931, Dernières nouvelles (p.6), les accidents de montagne, Grenoble, 28 juillet : « On vient d’être avisé de la Bérarde, qu’un nouvel accident s’est produit dans le massif du Pelvoux : un jeune homme, faisant partie d’une caravane lyonnaise de trois personnes, a fait une chute mortelle ».
Extrait du journal Le Temps du 30 juillet 1931, (p.4), Les accidents de montagne : « Nous avons signalé hier qu’un jeune homme, faisant partie d’une caravane d’alpinistes, excursionnant dans la région de la Bérarde, a fait une chute mortelle. Il s’agit de M. Jacques Herbrand, demeurant à Paris, 10 rue Viollet-le-Duc. M. Herbrand était parti dimanche avec trois camarades, MM. Jean Brille, Pierre Delair et Henri Guigner, pour faire l’ascension des Bans. A la descente, un piton de rocher auquel était attachée la corde céda, entraînant une petite plate-forme sur laquelle se trouvait M. Herbrand, qui fut précipité dans le vide. Une caravane de secours est partie pour rechercher le cadavre, qu’elle espère atteindre aujourd’hui ».

(extrait de l’article de Wikipedia sur Herbrand )