Magazine Journal intime

Rituel

Publié le 18 juillet 2009 par Araucaria

Certains de mes amis s'étonnent de me voir lire autant. Comment fais-tu? Où prends-tu le temps? Cette soif ne s'éteindra-t-elle donc jamais? Et cette folie qui te conduit à multiplier les achats et à empiler les livres, tu n'en guériras pas? Parfois, ces  personnes poussent même le bouchon jusqu'à une marque d'admiration... J'ai réfléchi au problème, j'y réfléchis même depuis longtemps, et je risque de les décevoir. Si je lis autant c'est sans doute que la lecture était au départ une béquille contre la solitude, un stratagème que j'avais trouvé habile pour moins m'ennuyer, et puis le piège s'est refermé. Devenue presque ermite et n'ayant qu'une pâle vie sociale, me sont restés les livres, la musique et la création. Comme l'ivrogne qui boit pour oublier qu'il est alcoolique,  je me suis retranchée derrière mes livres et au plus profond de mes lectures pour oublier que j'étais seule.
Lorsque j'ai rejoint le domicile de mes parents j'étais âgée de 10 ans, plus sauvage que timide avec les gens, surtout ceux de mon âge d'ailleurs... Enfermée dans un appartement, j'ai eu interdiction d'en sortir pour lier connaissance avec mes jeunes voisins. Et je n'ai pas cherché à désobéir, terrorisée que j'étais pas les autres. J'avais donc mon chat (noir pas toujours très commode et la patte leste),  la musique (le plus souvent classique) et l'art, à cette époque j'avais une passion pour le dessin et j'envisageais d'en faire mon métier... et puis il y avait les livres... Des livres,on en trouvait beaucoup  : des encyclopédies, un Larousse Gastronomique, un Larousse Médical, une encyclopédie dédiée à toutes les parties du corps (sauf le sexe et la reproduction - deux numéros manquants en plein milieu de la collection et enfermés dans l'armoire des adultes... c'est pas bien malin, tiens...). cette avalanche de bouquins médicaux, même un Vidal, avec trônant sur le dessus la thèse de ma cousine hématologue (la maladie d'Hodgkin), m'ont rebutée à tout jamais et j'ai interdit toute entrée à des bouquins de ce style dans mon logis,  voulant combattre et enrayer si cela est possible tout début d'hypocondrie...je parle de ma famille actuelle, pour les géniteurs, ils étaient trop atteints et leurs discours favoris tournaient toujours autour des bonnes grosses maladies qui n'offrent aucun espoir, aucune rémission, les moribonds et naturellement les enterrements... Bien sûr; lorsque les deux numéros censurés pendant des années ont fait leur apparition dans la bibliothèque, sans doute après ma majorité, je me suis ruée dessus... Très technique tout cela, pas érotique, pas sensuel, pas porno... pas de quoi fouetter un chat, donc!
Il y avait aussi des beaux livres, bien reliés. J'en parcourais certains surtout ceux relatifs aux civilisations, aux animaux ou à l'Histoire, mais je les manipulais avec la plus extrême précaution et avec eux je n'étais pas à l'aise...
Ma préférence allait vers la collection "Livre de Poche", ceux-là se trouvaient en très grand nombre en bas d'un grand placard mural. L'appartement était petit, le placard ne pouvait s'ouvrir en entier gêné par la présence d'un fauteuil. Je me faufilais (j'étais maigre comme un clou) m'asseyais sur le carrelage et sortais tous les livres... C'était un rituel, mon rituel qui m'aidait à faire mon choix! Alors là, je savourais...je restais assise au même endroit pendant des heures sans bouger, je me refroidissais et avais même des crampes... mais je ne bronchais pas. Il fallait respecter le rite. Humer d'abord le parfum des livres, et puis les toucher, les caresser, détailler les titres et noms d'auteur, et aussi la photo illustrant la couverture. Cette photo avait une importance capitale, elle agissait souvent comme un aimant, et j'étais alors irrésistiblement attirée vers le livre, ou au contraire l'illustration ne me disait rien qui vaille, et le livre était rangé immédiatement au plus profond du placard, pour être ressorti quand même lors du rituel suivant.
Il y avait la pile des livres qui ne m'attiraient pas, la pile des livres "qui n'étaient pas pour moi", hummmm cela était déjà beaucoup plus intéressant j'aimais bien découvrir généralement ce qui était interdit. Et puis il y avait les livres qui me tentaient, ceux que je voulais dévorer... Alors, je prenais le temps de les choisir, les inspectant sous toutes les coutures, les feuilletant, lisant des passages au hasard, et toujours le tout début du texte, et les dernières lignes... Oh il ne s'agissait pas de connaître la fin de l'histoire, mais je ne peux résister aux livres qui sont des conclusions magnifiques. Généralement aussi, je me laissais séduire par un auteur que j'avais déjà lu et particulièrement apprécié. J'ai eu ainsi ma période Pagnol, puis il y a eu Bazin, et je suis devenue une inconditionnelle de Cronin (quelle révélation le premier titre lu : "Les Clés du Royaume" qui m'ouvrait la porte de l'univers des écrivains anglo-saxons..., et naturellement il y avait aussi des Maurois, Mauriac, Giraudoux, Malraux, Gide, Yourcenar, Benoit, Saint-Exupery, Zola, Sartre ou Camus... et puis des livres dont on parlait à mots couverts avec un sourire en coin, et qui devaient être bien plus perturbants et révélateurs que les bouquins de médecine, je pense à "L'amant de Lady Chatterley", "Le Diable au Corps" ou encore "Caroline Chérie"... toute surprise que mon père, presque moine, et ma mère, nouvelle immaculée conception, aient pu lire un jour ces "horreurs"!
J'aimais ces rendez-vous avec le placard mural... Le temps a passé. J'achète mes livres sans état d'âme, je feuillette un peu, le titre m'attire ou c'est l'auteur que j'apprécie, et puis parfois il y a une dédicace, quelques vers en introduction... alors j'ai envie d'aller plus loin... il y a aussi le résumé en quatrième de couverture, ou les conseils de mes amis.... Peut-être est-ce à cause du rituel, mais je suis restée fidèle aux livres de poche... c'est plus sage d'ailleurs, comme j'ai une énorme fringale littéraire, le compte en banque serait dans le rouge.
Je rentre avec mes trésors dénichés en bouquinerie, en librairie, ou au rayon littéraire de l'Hyper-marché...peut-importe... Mes nouvelles acquisitions vont rejoindre d'autres bouquins arrivés plus tôt et qui attendent d'être lus... Ils en ont de la patience, ils ne désespèrent pas, un peu déçus peut-être, ils songent "Pourtant lorsqu'elle me feuilletait elle était sous le charme, voulant me consommer tout de suite..." Oui, c'est exact, ils sont fins psychologues les livres, chacun d'eux à su me séduire au moment où je l'ai saisi sur un rayonnage... mais ce qu'ils ne savent pas c'est que je suis infidèle... et que le dernier qui vient me tenir compagnie est toujours le plus beau, le plus séduisant...
Plus de placard mural, je ne m'assieds plus sur le sol non plus (entre lumbago ou sciatique, j'aurais des difficultés à me relever)...mais j'étale encore mes livres, et le choix est toujours aussi difficile. Le rituel est presque resté le même, le contact charnel est toujours important, comme je les caresses mes livres, comme je m'enivre de leur odeur de papier et d'encre, comme je rêve devant les mots qui s'en échappent et dansent devant mes yeux... Parfois, je descends au rez-de-chaussée en disant : "Je vais chercher un livre, je remonte..." Oh oui, je remonte... je suis bien obligée de remonter, mais ne trouve le chemin que de très très longues minutes plus tard. J'ai été une nouvelle fois happée par le rituel...
N. Labatie - Nature morte aux livres et aux bésicles - 1775 -
Photo trouvée sur le site www.artnet.com/

N. Labatie, Nature morte aux livres et aux bésicles


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