La contrariété qui s’empara de moi à la lecture de ces deux lettres soulignait mes éternelles contradictions nées de la panique de subir les évènements au lieu de les anticiper comme j’avais appris à le faire. La visite annoncée de Fabien me jetait dans un mini gouffre d’où je me relevai le sourire aux lèvres ; une crise de jalousie ? Moi ? Je réalisais alors que tandis que j’avais placé cet objet de désir sous les lamelles de mon microscope sentimental, le bougre en avait fait de même et à ce rythme il en saurait bien plus sur moi que moi sur lui… Quant à Louve Solitaire-Monique, elle me proposait le marché dont je rêvais mais qui arrivait trop tôt et sous conditions.
J’admettais donc, à regret mais avec un brin de satisfaction tout de même, que le contrôle de ma petite existence, ou du moins le semblant de contrôle car il ne fallait rien exagérer non plus, persistait à me guider, pour me protéger sans doute, pour ne me livrer qu’a minima alors que je me montrais si exigeante vis-à-vis des autres. Si l’ambition de Fabien était de me montrer du doigt cette faiblesse caractéristique, nous allions droit dans le mur, cela ne faisait aucun doute. Il allait sans doute arriver de bonne heure, avant de rejoindre son cabinet, des croissants dans une main, son assurance affichée sur un visage qui m’avait déjà horriblement manqué. Et si je ne m’étais pas exceptionnellement levée si tôt, il m’aurait cueillie au réveil, alors qu’il me fallait, en moyenne, trois bonnes heures pour émerger et montrer bonne figure. L’horrible personnage usait donc de moyens des plus radicaux pour me déstabiliser…Qu’à cela ne tienne, rira bien qui flanchera le premier !
J’eus le temps tout de même de préparer le terrain, en ouvrant en grand toutes les fenêtres de l’appartement, tandis que, tapie sous la couette, je rédigeais ma réponse à ma nouvelle alliée :
« Chère Louve Solitaire,
Je ne vous cacherai pas les sentiments contraires nés de la lecture de votre message. Une certaine fierté, je dois dire, d’être choisie pour entendre ces confidences qui éveillent, vous vous en doutez une curiosité bien légitime ; l’appréhension de ne pas être à la hauteur de cette confiance que vous m’accordez, ainsi qu’un certain trouble lorsque vous écrivez que nous ne serons pas seules à partager ce secret que vous souhaitez me livrer. Aurais-je, dans le rôle de passeur que vous me confiez, la moindre responsabilité ? Je vous livre, tels qu’elles arrivent les questions qui trottaient déjà dans mon esprit troublé. Mais je peux d’ores et déjà accepter ce défi qui m’honore, de recueillir et partager votre prose. Je vous confie enfin, une inquiétude naissante à la lecture de votre conclusion et vous enjoins de ne pas commettre de geste irréparable lorsque vous écrivez : « le temps qu’il me reste à vivre ». Nous ne nous connaissons certes pas, mais vous savez à quelle vitesse se crée l’attachement, et avec quelle force le ciment de l’écriture forge une relation. Alors cette fois, j’ose vous appeler mon amie, et suis touchée de cette reconnaissance que vous évoquez, car, je peux bien vous le dire, elle est totalement réciproque. A très vite. Rose. »
Je n’éprouvais pas le moindre remords à aligner les mensonges et cliquai sans regret pour envoyer mon nouvel appât. Après quoi, j’eus le temps de prendre un bain, me maquiller très légèrement, enfiler une tenue qui n’éveillerait aucune doute chez Fabien, quant à la préparation de ma petite mise en scène. Je négligeais un déshabillé too much, pour choisir un petit boxer ainsi qu’un tee-shirt ; évidente simplicité mise en valeur par une coupe de cheveux que je mis un temps fou à rendre décoiffée à souhait.
Lorsqu’il sonna à la porte, la cafetière crachotait ses dernières gouttes en embaumant l’appartement aussi fraîchement aéré que les dents que j’avais consciencieusement brossées. J’ouvris donc, sûre de mon incontournable aura et avant que je n’ai eu le temps de prononcer la phrase d’introduction que j’avais méthodiquement préparée dans mon bain et qui m’échappait maintenant, il avait fait un pas, placé une main à l’endroit précis de mon dos, celui la même qui me mettait dans tous mes états, et m’avait embrassée, mais embrassée comme je n’aurais même pas osé le rêver. Un baiser d’éternité qui construit à vitesse grand V un barrage dans le temps et l’espace, un baiser mouvant qui s’installe en effaçant les repères et offre une vue nouvelle sur un paysage psychédélique. Un baiser ponctué de sourires étonnés, de paupières qui s’ouvrent et se ferment sur un regard qui dit la certitude incontournable que ce compte à rebours imbécile ne rime à rien. Que c’est maintenant et ici, dans la cuisine, sur l’un et l’autre canapé, et enfin dans mon lit aux draps frais qu’il devenait urgent de nous aimer.