09 - Organisation sociale et idéologique

Publié le 18 juillet 2009 par Collectif Des 12 Singes

Organisation sociale et idéologique
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Il existe de nombreux ateliers / usines de production qui fabriquent beaucoup de haches polies (100 par semaine), que l’on retrouve ensuite dans toute l’Europe. Ces objets, dont la fonction est autre que purement utile (surtout les haches qui sont polies et placées dans les tombes sans avoir été utilisées : elles ne servent donc pas à abattre des arbres) mais sont sur-polies, pour briller et faire qu’on se reflète dans la pierre, comme en joaillerie, sont offerts au cours de cérémonies, notamment comme dot pour se payer une femme. C’est le premier exemple connu de tractation commerciale, les pointes illustrant la richesse symbolique et matérielle (car les haches sont faites en jadéite, qui vient du versant italien des Alpes).

Même si la société est prospère, certains accumulent plus de richesse et d’influence que d’autres. Il semble peu probable que ces sociétés si riches le soient devenues grâce à leur agriculture relativement rudimentaire. Ils se sont enrichis grâce au sel. Le changement de chasseur à agriculteur engendre des changements considérables dans les styles de vie et surtout dans l’alimentation. Ils mangent moins de viande et plus de céréales et poissons, donc leur corps à besoin de sel. L’exploitation saline est aussi en relation avec le développement d’un élevage intensif (les animaux nécessitant également cette ressource), source de richesse pour quelques seigneurs, non propriétaire de terres mais de troupeaux.
La mer leur permet d’exploiter la première ressource minérale au monde. Le sel fut historiquement l’une des ressources les plus contrôlées par le pouvoir politique. Il est ainsi emblématique des bénéfices politiques permis par son contrôle. L’exploitation de cette denrée vitale a fait l’objet de contrôles à des niveaux variés : un niveau très local, vraisemblablement insignifiant socialement, lorsque l’exploitation demeurait occasionnelle, ou bien un niveau indirect, dans le cadre d’un pouvoir territorial plus large, en cas d’exploitation régulière : le contrôle s’effectuait moins sur le gisement lui-même que sur la circulation du produit. Ainsi, nous avons affaire à une organisation de type mafieux (comme les fondamentaux de nombreuses structures avant l’avènement du pouvoir au Peuple, la Démocratie), où une élite / famille se contente de taxer pour son profit exclusif le travail d’autrui, en garantissant la bonne circulation sur son territoire de matières utiles ou de prestige à destination d’autres élites. Si l’une des parties ne règle pas son tribut, le circuit de distribution est interrompu voire les responsables amenés manu militari à se conforter aux exigences des parrains/barons locaux.
Ce commerce explique que beaucoup de monuments soient en bordure de mer, pour l’extraction du sel et son expédition vers d’autres tribus. L’Europe pratiquait donc déjà le libre échange, vierge de toute notion de frontières nationales, mais pas de territoires traversés.
Dans les sociétés qui peuplaient de manière assez dense la région, certains se sont détachés et accaparés ces nouveaux objets et ressources de prestige financier d’abord dans le cadre d’échanges compétitifs entre groupes et leaders. Ces personnages qui ont mobilisés autant d’énergie pour capitaliser autant de richesses, pour construire leur tombe funéraire, sont à l’origine de la royauté magique/divine.

Ainsi, Locmariaquer est l’équivalent de la vallée des rois, vu le nombre de sépultures. Tous ces monuments furent entourés de structures plus ou moins complexes. La plus fréquente demeure le tumulus circulaire qui recouvre l’ensemble des dalles de pierre, les rendant invisibles de l’extérieur. C’est la tombe d’un seul individu, riche et puissant (collier de perles, obsidienne, pointes de haches superbement polies).
Il est surprenant que pour ces monuments qui se veulent ostentatoires, le plus gros de l’investissement humain pour leur construction, qui correspond au transport des dalles, ne soit visible qu’à une minorité de la population, ceux qui peuvent pénétrer dans le monument. Au contraire, d’autres monuments, souvent les plus petits, laissent voir leurs dalles. On trouve tout autour de Locmariaquer, pleins de petits tumulus (pour 5 ou 10 personnes), dont l’un avec le plus gros stock d’objets funéraires jamais trouvé en Europe (grandes haches en jadéite, bracelets en variscite, formes en turquoise).


La première fonction des mégalithes, celle de tombe ou de sanctuaire, est leur raison d’être la plus fondamentale. Les pierres dressées, isolés ou organisées en ensembles, sont des sanctuaires, et les stèles sont dédiées aux divinités de la Nature.
Les tombes à couloir sont des sépultures, Collectives pour la plupart. Pour autant, l’utilisation des tombes est très courte, réservée à quelques personnes, d’où l’existence de classes de privilégiées, capables de mobiliser une part importante de l’énergie du groupe social pour extraire, transporter et organiser des tonnes de pierre selon des plans précis et avec une ampleur parfois démesurée, attestant de la présence de hauts personnages.

Un monument comme le tumulus Saint-Michel à Carnac (Morbihan) abritait une série de chambres juxtaposées dans leurs petits cairns individuels dont la plus grande contenait un riche mobilier de lames de haches en jadéite, qui peuvent provenir des Alpes et de pendeloques (pièce de parure suspendue à un anneau ou à une chaînette) en variscite, roche verte dont l’origine se trouve dans la péninsule ibérique.
A l’origine (au -Vè millénaire, vers -4 500), nous avons de petits tertres peu élevés à l’extrémité desquels se dressait un menhir. Ils furent agrandis par l’adjonction de chambres funéraires en dalles de pierre (dolmens) dans leur tumulus de pierre (cairn).
Sur les dolmens, la façade est lisse et oblique, pointant vers le ciel. Ce monument a été édifié pour des personnages importants : le nombre de personnes nécessaires pour le construire est infiniment supérieur au nombre de celles qui en profiteront comme dernière demeure. Une masse de gens travaillèrent pour le privilège de certains, qui les dominaient, d’une façon ou d’une autre (à contrario des petits monuments, les plus fréquents dans l’aire méditerranéenne, qui étaient construits par un petit groupe, où chaque membre était susceptible d’en profiter).
La volonté d’une façade impressionnante, d’énormes stèles érigées formant un arc de cercle, font que le caveau où sont déposés les morts, est à peine visible : seule compte son entrée qui se veut majestueuse et transforme la tombe en temple et en lieu de rituels.

Le reste de la population, voire une partie seulement, pouvait avoir droit aux tertres plus petits ou aux plus anciens dolmens à couloir, accompagnés d’ossements de bovidés.
Les premières tombes à couloir étaient soit de petites chambres en pierres sèches auxquelles un couloir fut ajouté pour assurer l’accès permanent à la tombe Collective, soit il s’agissait déjà de caveaux plus ou moins mégalithiques à ouverture temporaire pérennisée par l’adjonction d’un couloir.
Le nombre de corps dans les dolmens à couloir ne dépasse jamais la dizaine (hommes, femmes et enfants). Il semble donc que des ossements étaient retirés du sépulcre à certaines occasions, mais il est également possible que des paquets d’ossements étaient ramenés d’ailleurs pour ne séjourner que quelque temps dans la chambre funéraire, qui apparaît alors comme un lieu de passage de tout un groupe vivant sur un territoire.
Ainsi, sur un même territoire ou dans une même nécropole, tous les monuments n’ont pas la même valeur : ils ne s’adressent pas aux mêmes types d’individus. Ces monuments étaient de véritables sanctuaires, avec une dimension religieuse au-delà des aspects funéraires accompagnés d’offrandes utiles (poteries, bijoux en dents d’animaux, amulettes de pierre, pointes de flèches, grattoirs, poinçons en os) pour la vie dans l’au-delà. Parfois, des ossements d’animaux consommables (bœuf, mouton, porc) ou de chien (déjà fidèle compagnon suivant son maître dans le grand voyage) se trouvaient également dans les sépultures.

La deuxième fonction de ces monuments est liée au prestige. En-dehors du fait que, dans certaines tombes, des mobiliers particulièrement éblouissants ont accompagné les défunts, révélateurs de la personnalité éminente du mort, l’ampleur des constructions extérieures qui entourent la tombe centrale, révèle une volonté d’affirmer la puissance du groupe, de son chef ou des puissances extra-humaines qui dominent la société. La masse des cairns ne cesse d’ailleurs de s’accroître au fur et à mesure que les tombes viennent se greffer les unes contre les autres, et toujours la notion d’architecture extérieure s’affirme davantage : les nombreuses tombes satellites, d’un développement déjà respectable, magnifient l’ampleur des grandes tombes centrales.
La durée du monumentalisme résulte d’un savant équilibre économique qui sait gérer ses surplus : un monument se calcule en tonnes de céréales et en viande, c’est donc un luxe que seules les sociétés gérant correctement leur territoire peuvent s’offrir.
Pour transporter les pierres et les hisser, il faut réunir un nombre important de personnes et les nourrir. La meilleure solution n’est pas la contrainte, mais la fête : offrir de la nourriture et de la boisson dans un cadre institutionnel demeure un moyen efficace pour rassembler des forces de travail.
La survie d’un système capable de construire des monuments exceptionnels provient donc d’une bonne gestion des surplus agricoles et de la taille des troupeaux (donc d’un haut niveau de contrôle des naissances et de la reproduction des individus du cheptel). Si l’équilibre se rompt, les constructions s’arrêtent, perdant tout leur sens. Une révolte de l’économie, de la démographie et des humains, peuvent interrompre une tradition qui semblait immuable.

Enfin, le dolmen à couloir, monument funéraire en même temps que temple placé sur une hauteur, a également servi de marqueur territorial pour tout le groupe humain qui l’a édifié face à ceux qui pourraient empiéter sur leurs terres. Les grands monuments doivent être vus et voir. Implantés devant de vastes panoramas dominant des vallées et des territoires (comme le Göbekli Tepe anatolien), vus par les habitants de ces contrées, ils contrôlaient un monde. Les grands dolmens, toujours installés dans des positions dominantes, dirigent leur entrée vers le paysage le plus lointain. Des structures extérieures en bois, des peintures, les transformaient en de véritables points de repère dans le paysage que tous voyaient, se sachant tout autant observés.
Par le caractère plus ou moins imposant de la construction, chaque peuple pouvait afficher sa puissance en même temps qu’il marquait son territoire. Certains menhirs (pierres dressées) sont associés aux tombes dolmens, tandis que le plus grand nombre occupe les premières hauteurs granitiques du massif armoricain suivant un axe est-ouest, limitant au nord le territoire des dolmens. Les sociétés néolithiques érigent des monuments parsemant leur environnement.
Quand on cultive ardemment une parcelle précise que l’on a eu du mal à défricher, on défend davantage son terrain, sa propriété et on a une autre vision de ce qui est à moi ou à toi et n’approchez pas : c’est ainsi un sens accru de la propriété et de la possession, qui se développe au fur et à mesure du Néolithique.
La propriété privée donna alors naissance au concept de territoire, au besoin de le défendre et au désir de l’étendre. Paisibles sociétés agricoles honorant la Terre mère nourricière ?
Non, les menhirs sont des représentations phalliques pour marquer les limites d’un territoire et repousser d’éventuels envahisseurs, en marquant l’agressivité et le pouvoir masculin.
Les constructions mégalithiques sont une preuve de pouvoir et font impression dans le paysage en indiquant aux autres tribus le statut des constructeurs, qui sont puissants, forts et doivent être respectés.

Sur la hauteur du Pey de Fontaine qui embrasse toute la plaine environnante, de l’entrée de la baie de l’Aiguillon et donc du Marais poitevin jusqu’à La Rochelle et l’île de Ré à une trentaine de kilomètres au sud, un gros tumulus quadrangulaire de 35 m de côté, qui abritait deux ou trois chambres funéraires, apparaît comme le super-monument local, celui qui tient tous les autres sous sa domination : il était le centre du territoire mégalithique, subdivisé en autant de groupes secondaires qu’il y a de dolmens sur les points hauts du secteur.
Cette occupation territoriale s’est faite progressivement avec le développement démographique : des parties du clan se séparaient du groupe pour former un nouveau village, avec sa sépulture monumentale, son site cérémoniel et ses habitats fortifiés, mais qui restait sous la dépendance du village fondateur et de son centre cérémoniel de plusieurs territoires. Ainsi, il existait une double hiérarchie, celle des personnages introduits dans les tombes mégalithiques, et celle des tombes entre elles.
Mais tout cela ne représentait pas un grand nombre d’individus, pas plus de quinze à trente personnes (hommes, femmes et enfants) par groupes, soit cinq à six cents personnes à la fois sur le territoire défini au plus fort de son occupation au Néolithique moyen : c’est le lieu des morts qui donne à chacun une réalité identitaire et qui lui permet de dire à quel groupe il appartient.
La mise en œuvre des grosses pierres exige un fort rassemblement de population et ce projet Collectif engendre une grande fête. Il existe une symétrie entre le poids des blocs et l’énergie humaine mobilisée. Cette balance entre la masse matérielle inerte et le mouvement impliqué par la réunion de toutes ses vies humaines, apparaît comme essentielle dans le processus de construction du temple/sanctuaire en l’honneur des dieux ou de la tombe en hommage à l’insigne ancêtre.
La mise en place d’un mégalithe, parce que le caractère de ce dernier est d’être particulièrement lourd, implique la Participation du plus grand nombre, qui trouve dans l’effort et le défi une certaine ivresse, entretenue plus ou moins par la boisson, en raison de motifs religieux, ethniques, claniques. Le débordement d’énergie vitale dans la réussite du rite funéraire des dolmens devient le moteur événementiel de la société.


D’autres monuments se détachent de leur contexte par leur taille, comme Gavrinis, la Cueva de Menga en Andalousie, Newgrange en Irlande, Maes Howe aux Orcades (Ecosse), bien sûr Stonehenge en Angleterre, et concernent une population s’étendant sur un territoire beaucoup plus large que les autres nécropoles. Obligatoirement, leur construction a demandé beaucoup plus de gens, qui devaient être recrutés sur de plus grandes distances.
Les blocs proviennent de plusieurs zones, ce qui indique la Participation de communautés secondaires au profit d’une communauté centrale dominante. Ils ont donc été des lieux de pèlerinage et des monuments fédérateurs de plusieurs communautés qui possédaient leurs propres édifices.
Ils n’assument pas la fonction de tombeaux et s’assimilent à des sanctuaires complexes avec de nombreuses salles où des rituels s’accomplirent durant des laps de temps relativement courts.

Pour construire ces structures, il suffisait de choisir les blocs nécessaires (à l’état libre, sur le massif primaire ou au milieu de affleurements granitiques des vallées des ruisseaux, ou sur les calcaires de plaine pour le grès) et de les transporter, parfois sur plusieurs kilomètres, en les faisant rouler sur des rondins de bois. Ces transports de blocs, qui parfois pesaient plusieurs dizaines de tonnes, nécessitaient le concours de plusieurs villages.
Un plan de la construction était préalablement établi par l’architecte du groupe, dessiné au sol à l’aide de pierres calcaires blanches juxtaposées, indiquant les couloirs orientés sur le lever du soleil.
Il fallait un pouvoir politique de décision fort pour extraire des blocs allant jusqu’à 300 tonnes, transportés parfois sur plusieurs kilomètres, ensuite dressés et organisés, donc des ingénieurs du génie civil. Mais on ne peut réduire ces manifestations à de simples manœuvres de force. Elles ont été accomplies grâce à une forte spiritualité, encadrée d’un fort pouvoir religieux.