Magazine Journal intime

Mort d'un rituel...

Publié le 19 juillet 2009 par Araucaria



Pablo Reinoso, Spaghetti Bâle

Pablo Reinoso - Banc spaghetti
Photo trouvée sur le site www.arnet.com/


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Le désespoir est assis sur un banc

Dans un square sur un banc
Il y a un homme qui vous appelle quand on passe
Il a des binocles un vieux costume gris
Il fume un petit ninas il est assis
Et il vous appelle quand on passe
Ou simplement il vous fait signe
Il ne faut pas le regarder
Il ne faut pas l'écouter
Il faut passer
Faire comme si on ne le voyait pas
Comme si on ne l'entendait pas
Il faut passer et presser le pas
Si vous le regardez
Si vous l'écoutez
Il vous fait signe et rien personne
Ne peut vous empêcher d'aller vous asseoir près de lui
Alors il vous regarde et sourit
Et vous souffrez attrocement
Et l'homme continue de sourire
Et vous souriez du même sourire
Exactement
Plus vous souriez plus vous souffrez
Atrocement
Plus vous souffrez plus vous souriez
Irrémédiablement
Et vous restez là
Assis figé
Souriant sur le banc
Des enfants jouent tout près de vous
Des passants passent
Tranquillement
Des oiseaux s'envolent
Quittant un arbre
Pour un autre
Et vous restez là
Sur le banc
Et vous savez vous savez
Que jamais plus vous ne jouerez
Comme ces enfants
Vous savez que jamais plus vous ne passerez
Tranquillement
Comme ces passants
Que jamais plus vous ne vous envolerez
Quittant un arbre pour un autre
Comme ces oiseaux.
Jacques Prévert - Paroles - Folio n° 762 -
Vendredi après-midi, je me suis rendue en ville. Il y avait plusieurs semaines  que je n'y étais pas allée. Trop de circulation pendant toute l'année, je fuis, ne m'y rendant généralement que pendant les vacances, lorsque les bastiais désertent la ville pour les villages, et que l'on a espoir de pouvoir garer.
Vendredi donc, passage chez le coiffeur et puis j'ai voulu jeter un coup d'oeil aux soldes, entrant dans plusieurs boutiques et n'achetant finalement que de la lingerie, mais essayant quand même des robes, allant voir les sacs à main, les chaussures... même des bijoux, mais heureusement pas d'emballement! Je suis même passée devant chez Phildar sans y entrer, mais il me faut avouer que le matin même j'avais acheté 11 pelotes de fil chez Monoprix... soldé moins 50%, une affaire... ça peut toujours servir...
J'ai évité la librairie, je sais que j'aurais encore commandé plusieurs titres... je voulais être sage, ou plutot économiser mes deniers et pour le prix d'un ouvrage neuf délester mon bouquiniste préféré de plusieurs bouquins (pourquoi pas Kundera et son ' Insoutenable légéreté de l'être', pour améliorer si c'est possible ma "culturation"
Mort d'un rituel...
. Je gardais donc le meilleur pour la fin de la virée en ville. J'avais même prévu de prendre mon panier en paille, très pratique pour y glisser mes achats...
"La Bouquinerie des Jardins" se trouve comme son nom l'indique rue des jardins... dénomination datant du temps où au XVIIIème siècle il y avait de florissantes cultures dans cette partie de la ville. Cette rue, est en fait un long escalier qui part de l'artère principale de la ville, le boulevard Paoli et plonge en direction du Vieux Port... J'ai descendu les premières marches et ai constaté que le rideau de fer était tiré... Vacances? Etrange!  Jour de repos? Non, c'est fermé le lundi... Je me suis approchée, plus la moindre affiche sur la vitrine... L'intérieur du magasin renvoyait un reflet étrange. Je me suis penchée, et alors, consternation... Tout était vide... Les murs étaient nus, désertés par les milliers de livres et même les rayonnages où ils s'entreposaient... Déménagement vers un autre lieu? Improbable, aucune nouvelle adresse sur la porte. Pas d'information. Faillite sans doute, liée à la conjecture économique et aux prix ridicules que le maître des lieux pratiquait... Ce sympathique bouquiniste n'était pas un gestionnaire, un homme d'affaires, un financier... c'était un artiste... on est rarement l'un et l'autre à la fois.
Six ou sept ans de fidélité, un endroit où j'aimais me rendre, d'où je ne sortais jamais sans un ouvrage et où je passais de longs moments... une atmosphère... des discussions avec le maître des lieux, sur fond de musique classique... L'endroit était très agréable, et j'aimais franchir la porte, car je ne savais jamais quel beau texte m'attendait sur les étagères... Il y a eu de belles surprises, de belles rencontres littéraires... C'est fini... J'ai pris conscience que je vivais là devant ce triste rideau de fer, la mort d'un rituel, mes promenades en ville étant toujours ponctuées d'une visite à ce lieu fétiche... Une page de vie qui se tourne, un plaisir bien innocent qui m'échappe... Mes rares escapades dans le centre ville n'auront plus la même saveur... Je n'ai osé questionner les commerçants voisins... J'ai remonté le boulevard assez lentement pour rejoindre ma voiture. J'aurais bien aimé me poser un instant sur un banc, pour y converser avec mon désespoir, que j'aurais volontairement et à jamais laissé là!

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