Le sourire béat imprimé sur nos visages en nage muta en un fou rire qui effaça un peu de cette gêne qui aurait pu s’installer alors que nos corps qui s’étaient si bien exprimés laissaient maintenant place à nos esprits plus vides que la bouteille d’eau que nous nous étions passée dans un silence quasi religieux. Puis nous cédâmes à l’autre rituel, celui de la cigarette qu’on allume et qu’on aspire à tour de rôle, oxygène de nos cerveaux encore embrumés du plaisir qui a tout balayé sur son passage : la logique, la raison, jusqu’à la mémoire. Quant au langage, réduit à sa plus simple expression, il semblerait dérisoire s’il ne coulait de source. Ces « je t’aime », comme une autre fontaine d’où le désir se nourrit du plaisir, un simple constat de fait, pas une déclaration ni une révélation.
Et puis ce blanc, ce vide vertigineux quand la pensée reprend ses droits avec son lot de questions qui tournent un peu en rond, avec en toile de fond la peur existentielle du gâchis potentiel, cette découverte-là qui ne se représentera pas, cette exclusivité qui vient juste d’imploser laissant l’esprit en friche et le corps en charpie, la seule vérité qu’il vaille la peine de vérifier encore et encore : naître et mourir du chaos, de ce désordre intime qu’on vient de partager. Voilà la seule vérité : l’homme est fait pour aimer, le reste n’est que littérature…
Mais ce que nous cherchons avec une énergie démesurée devient vite denrée périmée si nous n’y ajoutons pas quantité de condiments, c’est ce qui bien souvent conduit à cette déprime passagère, cette insatisfaction permanente qui rend les humains esclaves de leurs besoins vitaux, conscients de cette frustration aussi vaine que stérile : nous allons tous crever !
Alors, l’amour physique demeure le dernier bastion qui nous laisse entrevoir, pauvres rêveurs que nous sommes, une forme d’immortalité. C’est bien ainsi que nous nous reproduisons, c’est donc jusqu’à maintenant, avant que la science nous prouve le contraire, la plus belle façon de nous rendre immortel, un besoin sublimé par le désir que nous créons nous même, un moyen d’exister exacerbé par la preuve que nous existons. N’est-ce pas l’amour qui le rappelle, qui le révèle même ? L’amour physique est sans issue chantait Gainsbourg, ou le contraire, la seule issue. Je sue donc j’existe vaut bien une pensée cartésienne tant qu’on prend la mesure de cette absurdité.
Et puis surtout, l’amour physique reste une des rares activités humaines où le verbe, non seulement perd de sa consistance mais peut conduire à une contre productivité et prouve ainsi sa vacuité. Si on ne peut penser sans mots, fort heureusement on peut aimer sans en aligner, tant ils paraissent pauvres devant ce mystère. Point de pensées dans l’acte d’amour, c’est là qu’on est entier puisqu’on a lâché prise, puisqu’on accepte enfin l’idée qu’un corps se suffit à lui-même pour peu qu’il en trouve un autre pour l’exprimer. Ce qui n’empêche pas l’esprit de reprendre immédiatement ses droits, jusqu’à se venger peut-être en faisant naître une foule de questions inutiles et grotesques : pourquoi lui, pourquoi moi etc….
Pour l’heure, je restais simplement immergée dans ce plaisir aqueux, la tête posée sur le torse de Fabien, concentrée sur les battements de son cœur qui s’apaisait petit à petit et je me disais qu’il avait bien fait de reprendre les rênes et de mener la danse et qu’en fait je n’étais jamais aussi sereine et heureuse que lorsque je m’oubliais dans un corps masculin.