Bon, puisqu’il n’y a plus grand monde dans ce blog pendan...

Publié le 19 juillet 2009 par Didier T.


Bon, puisqu’il n’y a plus grand monde dans ce blog pendant cette période estivale, je vais pouvoir me lâcher un peu et soulever le voile des souvenirs de ma période matignonesque. Non pas en y dévoilant des secrets d’Etat (auxquels je n’avais pas accès) mais en brossant quelques portraits et en expliquant comment ça se passait, à l’époque, dans cette grande maison.
Au cours de l’été 1981, c’est Michel Delebarre, conseiller spécial du Premier Ministre qui me fait quitter le Cabinet de Maurice Pourchon, aujourd’hui décédé. Après avoir claqué la porte de la Mairie de Nantes, j’y avais été recruté en début d’année, comme directeur, pour réorganiser son Cabinet de Président de la Région Auvergne.
Président socialiste, il chassait gaillardement sur les terres du principal hobereau du coin : Giscard d’Estaing devenu grâce à la trahison de Chirac en 1974, Président de la République. A cette époque, si le Conseil régional était dirigé par un élu , le vrai pouvoir était entre les mains du Préfet de Région qui en était l’exécutif.
Ce dernier, Claudius Brosse, comme beaucoup ses confrères, était non seulement aux ordres de la Présidence mais essayait de devancer les desiterata du Valéry qui n’avait rien d’un poète…. La reprise en main de dossiers, la mise en œuvre de procédures systématiques d’expertise des projets soumis aux élus relevaient d’une urgence absolue.
Je m’y attachais avec une telle ardeur que lorsque le Préfet tenta de contester ma nomination, à propos de mon salaire qui bénéficiait d’une augmentation de 20% par rapport à mon traitement de base (ce qui était dans la limite légale) , et alors qu’il me faisais valoir qu’il était lui l’exécutif de la Région, je lui rétorquais de façon lapidaire que « chez moi, l’exécutif exécute ! ».
Les habitués de la chose publique en mesureront la violence de l’outrage. Je m’étais encore fait un ami qui ne m’oublierait pas et six mois plus tard, les vacances que je pris à Chypre furent bien méritées.
C’est donc gorgé de soleil et en pleine forme que je rejoignais la rue de Varenne mi juillet et que Michel Delebarre m’installa dans un grand bureau juste en face de Matignon au 54. L’occupant précédent en avait été le Délégué à la Mer, Aymar Achille Fould, député et propriétaire du Château Beychevelle, un Saint Julien grand cru du Médoc. S’il n’avait laissé de son passage que quelques trombones se battant en duel sur le vaste bureau empire qui se tenait sous la carte du monde mettant en valeur les mers et océans, j’espérais trouver dans les placards quelques bonnes bouteilles de Médoc qu’il aurait pu oublier… Je n’y découvris en fait qu’une caisse de J&B déjà entamée.
Plus tard, la secrétaire me confia que mon prédécesseur avait, à ses frais, aménagé cette immense pièce en y installant des fauteuils et un canapé dont l’utilité me paru évidente quand je constatais que, dans les toilettes, il avait aussi fait installer un bidet à jet orientable… On ne prête qu’aux riches !
Sur ce bureau, je dus apprendre à me servir de différents systèmes de téléphonie sécurisée, le Regis et l’Interministériel qui permettaient de joindre les ministres et leurs collaborateurs les plus proches. C’était un autre monde et je n’allais pas mettre longtemps à me considérer comme venu d’une autre planète tant le langage utilisé était abscons et les préoccupations exprimées par certains sensiblement éloignées de la réalité quotidienne.
Lors de la première réunion de Cabinet où je fus présenté comme étant en charge de la Décentralisation, réforme qui allait toucher de nombreux ministères et donc par nature interministérielle, après un long exposé de Daniel Lebègue sur l’état calamiteux dans lequel se trouvaient les finances publiques (déjà !) le Directeur du Cabinet, Robert Lion, nous fit un long speech sur un projet visant à redonner à la France son image de pays novateur à l’occasion de la candidature de celle-ci pour accueillir une Exposition Universelle à Paris.
Que dans une même réunion nous soit expliqué que toute dépense nouvelle devait faire l’objet d’un blanc seing des Finances, puis que d’énormes investissements d’une telle Expo soient envisagés sérieusement me choqua et sans provocation aucune, je demandais à quelle logique il convenait de se référer. Ma question fut accueillie dans un silence glacial et gêné. Ce n’est qu’à la sortie de cette réunion que plusieurs des participants vinrent me remercier de l’avoir posée…
Enfin, je constatais avec amertume que beaucoup des membres attachaient une énorme importance au fait que le corps de fonctionnaire auxquels ils appartenaient soit bien représenté au sein des différents cabinets ministériels, allant jusqu‘à comparer le poids respectif de chaque corps. De droite ou de gauche, la haute fonction publique sortait bien du même moule. Moi qui n’étais "que" Secrétaire Général adjoint d’une ville de 285.000 habitants, je me faisais une raison sachant que mon collègue Michel Delebarre remplacerait rapidement l’actuel Directeur du Cabinet à qui la direction de la Caisse des Dépôts et Consignations avait été promise dans un avenir proche.
Chirac, lors de son passage comme Premier Ministre de Giscard avait eu la bonne idée de créer à l‘intérieur de Matignon une "cantine"  réservée aux déjeuner de ses conseillers. C’est donc là que se retrouvaient tout ce petit monde autour de repas simples mais copieux, sous la houlette toujours souriante et débonnaire du légionnaire Emmanuel de Richoufftz qui faisait office d’estafette de Premier Ministre, veillant à son respect des horaires tout autant qu’à sa sécurité. Cette cantine était un de ces endroits où les langues se délient, où les sujets les plus divers pouvaient être abordés, où l’on réglait aussi parfois nos comptes, entre amis; moi-même ayant à faire à fortes parties car mon travail consistait à déshabiller les ministères pour confier les responsabilités et les crédits aux collectivités locales,chaque ministère étant suivi par un conseiller, la polémique y était récurrente à mon endroit.
La partie la plus visible du travail d’un conseiller résidait à présider les réunions interministérielles convoquées afin d’arrêter définitivement un projet de loi ou de décret ou de circulaire. Dans ce rôle, il représentait politiquement le Premier Ministre et était accompagné dans sa tâche d’un représentant de l’Administration travaillant au Secrétariat Général du Gouvernement dirigé à l’époque par Marceau Long. Mon binôme administratif était un garçon sorti de l’ENA, dans la botte comme tous ses collègues du SGG, qui regardait avec effroi avancer la réforme de la Décentralisation qui allait priver les Préfets et bien des ministères de leurs pouvoirs de décision et des crédits affectés aux compétences attribuées aux collectivités territoriales. Je le devinais plutôt de droite mais respectueux de l’intérêt général et de la chose publique. De longues années plus tard, je le rencontrai à Nantes où il était Préfet de Région alors qu’il était connu pour être proche de Guéant et sarkozyste militant.
Hier, il faisait ses adieux à la région ligérienne pour rejoindre un poste de Conseiller Maître à la Cour des Comptes qui le rapprochera de Dominique son épouse qui siège au Conseil d’Etat. . Il était chargé de rédiger le projet de compte rendu des réunions, appelé "relevé de décisions" et que nous avions baptisé « bleu » car rédigé sur un papier de cette couleur. Une fois contresigné par moi ce relevé pouvait être transmis, si nécessaire, pour avis au Conseil d’Etat avant inscription au Conseil des Ministres. Copie des bleus me concernant était systématiquement envoyé à mon alter égo à l’Elysée qui se trouvait être Michel Charrasse que j’avais déjà connu en Auvergne où il était maire de Puy Guillaume et qui suivait cette réforme à la demande du Président Mitterrand.
La quasi-totalité des textes soumis à examen étaient rédigés par le Cabinet de Gaston Defferre sous l’autorité d’Eric Guily et de François Roussely qui dès le mois de mai avaient commencé à travailler sur cette réforme aux cotés de Gaston Espinasse ancien collaborateur de Defferre.
Les principales lois ainsi élaborées furent la loi Droits et Libertés des collectivités locales, la loi portant transfert de compétences, celle portant création des Chambres Régionales des Comptes et enfin, une loi qui m’est chère car rédigée dans mon bureau et portant réforme des Sociétés d’Economie Mixte, seule loi votée à l’unanimité tant au Sénat qu’à l’Assemblée Nationale
. Quand je quittais Matignon en mars 84, nous étions en train de travailler sur la réforme du statut des personnels des collectivités locales dans le but de permettre une meilleure porosité avec la fonction publique d’Etat. Sous Fabius le projet fut mis en sommeil et en 86,la droite l'enterra définitivement et s’empressa d’inventer un système où l’on peut être reçu à un concours sans être assuré de trouver un poste…
Mais au delà de cet aspect austère du travail accompli en réunion interministérielle, il y avait des avantages non négligeables. Les primes de Cabinet étaient versées en liquide, avec de beaux billets Voltaire sortant tout droit de l’imprimerie de la Banque de France qui me permettaient de payer un loyer conséquent dans un immeuble bourgeois du XIVème arrondissement, rue des Plantes. Par ailleurs à chaque déplacement à l’étranger du PM, chacun se battait pour justifier sa présence. Souvent ceux qui étaient en charge de la culture y étaient prioritaires. Ne m’occupant que d’affaires intérieures, je ne me battais pas pour en être, c’est pourquoi Michel Delebarre avec qui je travaillais étroitement et à qui je rendais directement compte, me proposa de le remplacer afin de rejoindre une délégation du Nord-Pas de Calais qui accompagnait l’Orchestre National de Lille en tournée en Extrême Orient. C’est donc grâce à lui que je pris l’avion pour Tokyo, via Anchorage (-40°!!) et retour par la voie transsibérienne.
Le tour du monde en six jours, et des souvenirs de Tokyo, Kyoto, du Fujiyama, du Shinkansen, de Shinagawa et ses tremblements de terre, des taxis aux portes automatiques et à leurs chauffeurs tout de blanc gantés, des manifestants opposés à l’agrandissement de l’aéroport de Narita, du luxe de la Résidence de l’Ambassadeur de France au Japon, du sourire narquois de ministre du MITI m’expliquant qu’il n’y avait pas de grosses motos au Japon puisqu’elles y étaient interdites et toutes exportées, des petites écolières en uniformes s‘égayant dans les temples shinto et les jardins kyotoïtes, de l‘affreuse copie de la Tour Eiffel bariolée de rouge et blanc au cœur de Tokyo.
Bref, des souvenirs en pagaille !
De ce passage de trois ans à Matignon , l’année 82 me réserva à titre personnel les meilleurs moments.
Alors que début novembre je cherchais à joindre sans succès Emmanuelli, ministre des DOM-TOM, je demandais à Michel Charrasse de m’organiser un rendez-vous discret, ce qu’il accepta sans pouvoir me donner de date précise. C’est le matin du 8 novembre qu’il devait m’appeler pour une rencontre qui pouvait avoir lieu le soir même à l’occasion d’un dîner qu’il organisait à l’Elysée puisque cette nuit là, il y était de permanence. J’essayais de lui faire comprendre que cette date était, on ne peut plus mal choisie, car c’était celle de mon anniversaire et que j’avais d’autres projets familiaux en tête. Rien n’y fit, il persista en me faisant comprendre que si je l’avais mis à contribution pour des broutilles, il s’en rappellerait
J’obtempérais donc et me rendis au rendez-vous convenu où je pus discuter avec le ministre avant de passer à table en compagnie de journalistes de la gente féminine.
La conversation roulait sur des sujets d’actualité et nous avions déjà expédié les entrées, quand un serveur vint se mettre à mon coté gauche pour accéder à mon verre à vin. Et c’est sous les souhaits de « bon anniversaire » entonnés par les convives mis dans la confidence que le brave homme me servit une bonne rasade de Château Pétrus alors que Michel me faisait valoir que cette cuvée était de mon année de naissance (1947), année exceptionnelle !! Je regrette encore aujourd’hui de n’en avoir pas emmené une bouteille vide à la fin du repas ….
Ainsi donc; Michel nous avait reçu car il était « de permanence » à l’Elysée. Matignon fonctionnait de même et quelques conseillers, dont j’étais, se voyaient souvent contraints de rester dormir sur place afin que le lieu soit toujours occupé par un responsable. Pour cette permanence, un petit appartement de deux pièces hébergeait pour la nuit celui vers qui tous les appels extérieurs seraient dirigés, à charge pour celui-ci d’en prévenir le PM s’il l’estimait nécessaire ou de gérer directement la situation s’il s’en sentait capable.
Sa table de chevet ressemblait à un vrai cockpit où en plus des Régis et autre Interministériel, trônait un appareil directement relié à différents ministères tels que la Défense ou l’Intérieur et permettant des conférences à plusieurs . Sous cet enchevêtrement d’appareils, une série de fiches plastifiées indiquaient la marche à suivre en cas d’intrusion aérienne, de prise d’otages, d’attentats, d’accidents nucléaires, de catastrophes de tout ordre.
Quand on avait fini de lire ces fiches, il était difficile de s’endormir le cœur léger…Mais le plus drôle dans cette pièce était le lit qui vous tendait les bras. Il avait été construit pour le Général de Gaulle et donc le bois de lit faisait bien dans les deux mètres vingt alors que le sommier qui était posé dessus ne dépassait pas le mètre quatre-vingt dix !! Le pied du lit laissait donc voir le parquet !
Je fus volontaire pour assurer la permanence à Matignon la nuit de la Saint Sylvestre 82. Compte tenu de cette soirée particulière, j’étais autorisé à recevoir les personnes de mon choix et en profitais pour inviter ma mère, mon épouse et un couple d’amis proches à dîner.
Imaginez la fierté et l’émotion de celui qui regarde la petite voiture de sa mère franchir le portail qui se referme aussitôt derrière elle, pénétrer dans la cour d’honneur de l’Hôtel Matignon et se garer n’importe où, alors que le chef des garde républicains, de service ce soir là, vient lui ouvrir la porte et se tient au garde à vous. Suivit la visite de tous les lieux emblématiques, bureau du PM, salle de conférence, salons du rez de chaussée donnant sur la par cet illumination de ce dernier. La totale, sous la conduite amicale de ce garde républicain qui s’amusait des yeux ébahis de la belle femme qu’il accompagnait.
Dans un moment comme celui-là deux pensées vous assaillent, la première consiste à se dire « regarde ton fils maman, le sang ce n’est pas de l’eau et je te dois tout », la seconde pensée, plus iconoclaste, consiste à se demander abruptement : "mais qu’est-ce qu’on fout là ?".
J’avoue sans honte avoir eu les deux !
Cette soirée là fut calme, seul un journaliste de Libé qui voulait faire son intéressant téléphona pour vérifier et faire constater à ceux qui l’accompagnaient au réveillon qu’il y avait bien quelqu’un qui répondait au téléphone à Matignon ce soir là….
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