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Un homme affable VIII.1

Publié le 20 juillet 2009 par Sophielucide

Fabien et moi avions basculé de l’autre côté du miroir,  nous devenions des personnages au dessus des autres, ceux là même qui nous échappaient dès que nous pensions en avoir saisi une  dimension.  Ces trois femmes fantômes évoluant autour d’un amour mort, sans réelle consistance,  nous rappelaient à quel point nous étions vivants nous-mêmes.  De là à nous croire seuls capables de résoudre ce crime en un tour de bras, un bol de café et les croissants de Fabien nous l’assurèrent.
« - Qui commence ?
-   Honneur à ma dame. »
Je lui racontai Paul, le docteur Akhamlich et le rendez-vous que j’étais sur le point de rater, la disparition de Monique Massier, les mails de Louve Solitaire annonçant une confession qui n’allait pas tarder et dont je lui réservais l’exclusivité.
Fabien m’avait écouté sans m’interrompre  ni me quitter des yeux, ce qui me troubla un peu. Je le sentis triste brusquement mais je me défendais de penser qu’il regrettait déjà notre interlude sexuel. Ou alors sa concentration visait, comme la mienne à présent  à l’aider à renouer avec cette sordide réalité, à se détacher du désir latent mais bien présent qui passait subrepticement  d’un corps à l’autre par un phénomène chimique inexpliqué. Nous n’avions pas quitté le lit, si ce n’est pour préparer le plateau du  petit déjeuner ou chercher des cigarettes. Nous étions nus, face à face et parler maintenant de cette affaire criminelle dominée par des amours contrariées, voire illicites paraissait juste complètement absurde.

Il me semblait pourtant nécessaire de ne pas sombrer dans une forme de gravité qui ne résoudrait rien en ce qui nous concerne. Nous échangeâmes le sourire de la réconciliation qui n’a pas lieu d’être mais qui rassure quand même. Je compris alors que je me trompais sur son état d’esprit ; s’il paraissait pensif ou contrarié, c’est que de son côté, l’affaire avait pris une toute autre tournure. Sa visite de la veille à la prison avait démenti son optimisme quant aux bonnes résolutions de Clotilde.
A nouveau murée dans son silence, elle semblait absente d’elle-même, écoutait son avocat comme s’il lui racontait une histoire qui n’avait rien à voir avec elle. Lui offrant un visage lisse, voilé de temps à autre par un froncement de sourcil, elle ressemblait à une jeune écolière qui cherche une solution à un problème mathématique, sans que son incompréhension la gêne outre mesure.  Fabien se demandait maintenant si ma présence à leur précédente entrevue n’avait pas déverrouillé une porte qu’elle venait à nouveau de fermer à double tour.
« C’est pour ça que tu es venu ?
-   Qu’est-ce que tu racontes ? »
Je regrettai aussitôt d’avoir parlé trop tôt, jetant le doute sur ses intentions, tout ça parce qu’une fois de plus je me méfiais de toute forme de bonheur, même furtive, dans laquelle je  jouais  immanquablement le rôle de l’intruse. Je ne pouvais m’empêcher de chercher la faille, ce qui clochait, ce petit grain de sable qui enrayerait inévitablement la machine.  J’étais très forte à ce jeu, trop douée pour trouver les défauts de fabrication de la machine à aimer que chaque humain développait.  Heureusement pour moi, j’étais tombée sur un spécimen à l’humour acerbe, en phase avec mes préoccupations de midinette dont il se moqua ouvertement. Je poussai un soupir de soulagement en partageant son rire et nous décidâmes alors de prendre une douche afin de nous défaire de la quantité de  péchés immoraux qui nous collaient à la peau.


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