Les radeaux

Publié le 20 juillet 2009 par Thywanek
Les yeux en essaims sous la surface étendue
D’un ciel devenu eau, abaissé sur les corps
Dont les champs sont couverts et qu’on croyait perdus,
De paupières n’ont plus, ni de vie, ni de mort.
Ils voient la toile trouble qui tangue et qui semble
Glisser au dessus d’eux comme un film envoûtant.
Des formes aux contours silencieux mais qui tremblent,
Passent ici solitaires là-bas en rangs.
Ils perçoivent le poids lourd de convois d’acier,
Ecrasant un moment les serpents de lumière
Tombés de l’au delà en éclats de glacier
Pour éclairer de froid leur vue de cimetière.
Ils sont du calme jour, toujours trop rare et court,
Les dormeurs sans sommeil aux consciences lucides,
Regards du plus lointain où l’oubli sans recours
Lâche au matin sans cesse le cri des Atrides.
Et de la nuit, la seule et précieuse membrane
Qui adoucisse l’onde qui les éblouit,
Le songe impénitent qui s’enfonce et qui glane
Des restes de raison dans les terres enfouis.
Ils voient ramper des ombres dont parfois les bouches
Approchent leurs iris d’une haleine en désordre,
Et d’autres dériver, étalées sur la couche
Lisse où elles ont fini de geindre et se tordre.
Et des crachats de feu strier de mille baves
Des rumeurs métalliques aux concerts emplis
De frayeurs arrachées jusque du fond des cave,
Pour l’œuvre qu’un enfer n’a jamais accomplie.
Ils voient aussi passer, cortèges insolites,
Formés de bois croisés, des esquifs solennels
Sur lesquels un seul corps et que chaque autre imite,
Gît, blessé, alangui, dans sa fin éternelle.
Ils sont du jour guerrier, toujours fréquent et long,
Les guetteurs impuissants, lambeaux témoins d’honneur,
Regards germés ailleurs, le grain sourd d’où l’affront
Lâche au matin sans cesse les chars des fureurs.
Et de la nuit, la seule au coeur vertigineux,
Ceux qui veillent encore, au miroir pénitent,
Dont le nombre grandit sous l’écran capiteux,
Et regardent voguer des radeaux sous le temps.