Nous avons rejoint le lit, bureau douillet où ronronnaient nos deux ordinateurs, un Mac et un PC; comme quoi tout arrivait…Il existait à peu de choses près le même antagonisme entres ces deux machines qu’entre les deux sexes, mais l’espoir de les voir cohabiter perdurait dans les esprits les plus courageux ou les plus naïfs, ce qui revenait à peu de choses près au même. Je sentais bien que Fabien, en bon propriétaire de Mac qui se respecte , ne pourrait s’empêcher de faire sa déballe publicitaire au sujet de ce compagnon ergonomique, simple et agréable, plus fidèle qu’un labrador, plus fiable qu’un concierge, mais je l’en empêchai en lui lançant un regard noir guidé par une sombre jalousie.
Les nouveaux animaux de compagnie de l’homme moderne n’étaient pas les clones de petites bêtes tout droit sorties de la préhistoire mais bien ces ordinateurs censés nous ouvrir la fenêtre de l’immortalité donc de la toute puissance dans un monde qui se rétrécissait à vue d’œil.
Dès lors que l’engin est allumé, les regards sont obligatoirement aimantés à l’écran diffusant une lumière hypnotique. Aussitôt les repères se dissolvent, le temps n’existe plus et nous nous trouvons sans nous en apercevoir englouti dans cette dimension virtuelle qui nous happe aussi bien qu’une drogue dure. Tout cela, sous couvert de la somme d’informations qu’on peut y trouver, de ce désir minablement humain d’en savoir toujours plus et nous devenons en quelques clics esclaves d’une technologie qui nous dépasse et nous aliène irrémédiablement.
Poser un regard lucide sur cet état de fait ne changeait strictement rien à la problématique mais rassurait tout de même, maigre consolation devant cette révolution chronophage qui, paradoxalement nous ramenait à l’âge des cavernes. Une fois ces poncifs admis, nous nous remîmes au travail.
Fabien me fit écouter la suite de la bande où Clotilde s’expliquait longuement sur ses habitudes virtuelles nouées si rapidement. Elle correspondait assidument avec Charles, bien sûr, mais également avec Castel, le poète tout droit sorti du XIXème siècle, sorte de clone baudelairien au spleen ostentatoire, ainsi qu’avec Bipbip, un slameur –poète bien ancré dans son siècle, lui ; enfin avec PatGarett un adepte éclairé de la littérature oulipienne. Elle avait développé avec chacun d’eux une relation exclusive sans jamais confondre ni les intérêts, ni les sujets, ni même la forme.
Aussi s’étonnait-elle des différents styles d’écriture qu’elle avait pu enrichir à leurs contacts et avait établi un parallèle non dénué de sens sur les différents sentiments que ces styles avaient crées chez elle. Nous l’écoutions en fumant, dans les bras l’un de l’autre et je me fis la remarque que décidément cette histoire parlait aussi de moi, m’interrogeait sur mes propres angoisses, sur une solitude assumée peut-être mais pas vraiment …