(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
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Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.
CHAPITRE 13
L'APOTHICAIRE
Sa première pensée fut d’abord d’essayer de se souvenir d’un ciel triste. Un amas noir de volutes épousant la lune en haillons. L’écharpe d’une tempête cosmique en carcasse déglinguée et les vagues ruines sidérales condamnées à s’effriter en milliard de molécules de vie foutues derrière elle. Un temps... à ne pas mettre une météorite dehors, un vrai temps de chien ! Tony fit mine de ne rien remarquer, ni la petite robe rose à bretelles de soie qu’il lui avait achetée pour son anniversaire et qu’elle enfila en hâte à même sa peau nue. Ni la paire de talons aiguilles dont Tony nota qu’elle n’avait même pas pris la peine attacher les boucles en cuir sur ses chevilles. À un peu plus de 21H (heure française), après un voyage de 3 jours à la vitesse époustouflante de plus de 40 000 KM/H... la mission Apollo XI, venait de se poser sur la surface poussiéreuse et stérile du satellite naturel de la terre sous l’œil médusé de 500 millions de téléspectateurs rivés à leur poste un peu partout sur les cinq continents. Un exploit considérable dans l’histoire encore balbutiante de la retransmission d’images et sons synchrones en direct. Tony prévit alors qu’elle feindrait d’ignorer le miroir mural accroché juste au-dessus du coffre à chaussures, et qu’elle profiterait d’un reflet moins ostensible de la fenêtre ou d’un verre à photo pour vérifier ses cheveux, sa bouche, ses yeux faits et l’ajustement de sa robe sur ses seins. Ce qu’elle fit à peine deux minutes plus tard d’un coup d’œil retenu dans la profondeur grise du tube cathodique, et juste avant de se précipiter sur le palier pour sauter dans l’escalier commun. Une cinquantaine de marches environ pour rejoindre le rez-de-chaussée et la rue Georges Clemenceau complètement vide... Tony avait additionné le son de ses pas comme une somme de coups à encaisser dans l’estomac. Jules était parfaitement endormi dans ce qu’il lui servait de couchage, improvisé sur le sol en linoléum. À la télévision, Les commentateurs officiels tentèrent d’expliquer une interruption momentanée du direct avec Huston et la mission débarquée sur le sol lunaire, période pendant laquelle les astronautes auraient à régler les derniers détails avant leur sortie du LEM dans les heures qui suivraient.
De mon côté, j’avais continué d’interroger mon interlocuteur qui disait ne plus se souvenir de rien d’un peu important à part d’un disque de John Lennon et Yoko Ono enregistré un an plus tôt quelque part en Europe ou sur le continent nord américain. L’album s’appelait Two virgines et comprenait deux faces expérimentales d’une durée de 14 minutes chacune dans l’esprit du mythique album blanc des Beatles pressé quelques jours plus tard. Jules, se souvenait que le disque avait fait scandale à cause de sa pochette sur laquelle les deux artistes posaient complètement nus, « une face à l’endroit, une fesse à l’envers ». (Je me souviens que sa langue avait fourché) Un détail dont il trouvait lui-même très étrange de l’avoir gardé en mémoire aussi précisément alors qu’il n’avait qu’à peine quatre ans lorsque le disque avait été interdit. Jules se rappelait de pareilles vétilles, comme celui d’un pot de géranium très fourni, suspendu à la fenêtre du salon-cuisine-salle-à-manger qui lui avait aussi servi de chambre et de salle de jeux. J’avais été littéralement fasciné par tout ce que ce type pouvait savoir à propos des géraniums. Comment par exemple, la famille comptait cinq genres et environ 750 espèces dont seules quelques variétés répondaient aux critères intraitables du commerce actuel... Un insecticide naturel extrêmement efficace contre les moustiques ou les mouches. Comment il fallait les arroser tous les jours en été en évitant les heures les plus chaudes. Comment il fallait supprimer les tiges étiolées au printemps ou leur choisir des pots de taille réduite afin d’empêcher les plantes de produire trop de feuilles au détriment de leur potentiel florifère. Jules affirmait que toutes ces espèces (principalement des herbes...) étaient capables de rendre leurs propriétaires plus indépendants et courageux, capables de mieux s’affirmer dans la vie. Un remède végétal pour guérir des troubles de l’âme, des blessures affectives et des sentiments bafoués... À propos de fleurs justement ! Et pour rester un moment sur le sujet du jardin secret de Jules Chaumont. Je tenais à vous rapporter ici cette image tout à fait inédite du personnage dans son tablier vert suspendu au cou et ficelé à la taille au-dessus d’un pantalon de toile bleue. Jules avait d’abord insisté pour me parler de son expérience de botaniste amateur devant une table à semis en hêtre recouverte de tôle galvanisée. L’établi de fleuriste était aménagé sous un ensemble symétrique de plaques de verre trempé, perçant la toiture à l’endroit de l’appartement où nous avions pris rendez-vous. Par précaution, ou avec cette sorte d’intuition qui accompagne généralement les rencontres capitales... j’avais pris soin d’enregistrer un maximum d’éléments pour me souvenir plus tard du décor. En vrac : Des boîtes d’apothicaires serrées entre-elles et toutes sortes de fioles rigoureusement étiquetées sur un bureau à cylindre posé contre une cloison de plantes vertes. Une collection complète de cahiers à spirale, empilés sur l’étagère d’une petite bonnetière toute simple à bords droits dont il manquait la porte pour refermer le meuble. La pièce, éclairée à la manière d’un grand atelier d’artiste, comprenait également plusieurs caisses en osiers, dans le genre malle des indes, installées sous des rideaux de mini bambous d’intérieur et fourrées d’un bric-à-brac incommensurable de livres anciens, de catalogues de marques et de notices techniques ; et puis un cartonnier trois colonnes en merisier de très belle facture presque entièrement enseveli sous une dégringolade de clématites. J’avais aussi pris note d’un store blanc perlé, coulissant sur au moins trois mètres de long et responsable d’une lumière impeccablement diffusée sur une partie de ce que j’aurais spontanément décrit comme l’endroit le plus significatif d’une serre-appartement, occupée par un tapis de fougères brumisées grâce à un système de récupération d’eau de pluie habilement dissimulé dans le décor. La disposition de l’écran qui séparait la pièce en largeur... coïncidait sur l’un des deux murs principaux, avec une lourde tenture encadrée, dans la matière d’une toile de Jouy (un « Chintz » comme disent les anglais). Un motif surchargé sur fond bistre représentant une scène pastorale sous des sommets alpins ou ce genre de colin maillard à la manière de Jean-Baptiste Huet, (je ne saurais me souvenir tout à fait du dessin). Enfin, séparés par des bandes de couleur unie gris satiné, des sujets florentins ébènes sur fond rouge cramoisi interrompaient une soie de Chine d’un violet d’améthyste, créant l’effet d’un ensemble alterné de lais décoratifs à la fois moderne et sophistiqué. Un simple détail encore : ce nombre phénoménal de références cinématographiques classées selon leurs années de production... Un mur entier d’enregistrements vidéo en palissandre, dont les étiquettes collées sur la tranche, toutes identiques et numérotées... renvoyaient à une nomenclature sérieuse dans une collection de registres en forme d’agendas. Des films de guerre des années soixante-dix, des documentaires américains sur le Vietnam ou les activités secrètes de la NASA pendant la guerre froide... Des vieux films russes et suédois, des bandes de Vertov, de Sjöström ou de Murnau. Jules m’avait demandé si j’avais déjà vu Les mains d’Orlac ? L’œuvre qu’il préférait du cinéaste expressionniste allemand Robert Wiene. « En plein Bauhaus ». J’avais juste répondu « Man Ray, Buñuel... » le peu que je savais des surréalistes à l’écran dans une période propice.
(À SUIVRE)