Magazine Journal intime

Le bonzaï à bidules

Publié le 23 juillet 2009 par Thywanek
Le bonzaï à bidulesPour celles et ceux qui auraient suivi les récentes aventures de « la Grande Chaînes des Touillettes », en date du 26 juin de l’an de grâce 2008, et un peu plus lointainement l’épisode du « Bonbon dans ma boîte à lettre », du 5 mai du même an de grâce que précédemment, cet article sera moins surprenant que pour celles et ceux qui débarquent, et auxquelles* je recommande de s’accrocher ferme à leur pince à épiler. A défaut d’autres poignées… D’autres attaches…
Comme vous n’êtes pas sans l’ignorer, car vous aussi, vous placez l’étonnement à un niveau qui se satisfait peu du bazar commun des farces et attrapes, nos jours et nos nuits sont peuplés d’objets, de choses, de trucs, de machins, de bidules, dont, avec un peu d’inattention, on peut agréablement, parfois, souvent, ça dépend, se demander d’où ils viennent. Où mieux, d’où ils sortent. Et même, d’où ils ressortent.
Certains se flattent de représenter un événement, un temps, une heure, un lieu, un être. Ils jouissent de l’étrange privilège de vous suivre jusque dans de très nombreux déménagements. Ce petit coffret italien reçu des mains de qui, en pleine adolescence, et dans lequel un maigre fourbi s’entasse, dirait-on, sans raison. Ce masque de feu, ramené du Sri Lanka, par un, au visage égaré, à l’époque des brouillons d’amour. Objets fidèles. Témoins magnanimes.
Et puis, il y a les autres. Impossible de savoir comment ni pourquoi ils se trouvent ici. Sur mes étagères. Depuis longtemps. Depuis un nombre d’années, vague. Hier tel toujours. Toujours tel juste cet instant où je pose mes yeux dessus. La bille de verre mordoré qui sert de point à un gros i, un boulon de cuivre et de laiton, ramassé après des travaux sur une voie de chemin de fer, et dont le modèle est utilisé pour fixer les rails sur les traverses. Le flacon bleu translucide au verre esquinté, rayé, usé. Le coquetier de bois peint avec son œuf de marbre rose.
Enfin, comme ce boulon dressé à côté du gobelet de verre rouge sombre, les objets ramassés. Récupérés. Glanés. Presque jamais volés. En tout cas plus depuis très longtemps. Près du gros boulon, un autre, plus petit, en acier, qui traînait sur le bitume du parking de l’aéroport de Miami. Mois d’avril dernier. Ces trois pieds de fer abandonnés contre un arbre, près du pont levant, et qui ont dû soutenir durant des générations un poêle à charbon ou une cuisinière en fonte. La grosse tasse jaune dans laquelle je me sers les hectolitres de thé vert que je bois, découverte dans un placard d’un appartement vide que je visitais. La délicate paire de ciseaux de couturière, à l’effigie d’une cigogne, dont les deux lames forment le long bec effilé, trouvée dans une cabine téléphonique, à la gare de Toulouse.
Objet perdus. Objet trouvés.
Jusqu’à la nécessité, progressivement, d’investiguer un peu plus ce langage. D’intervenir. De proposer au supposé inanimé de dire. Serait-ce que pour s’amuser, peut-être. Pour tromper le mutisme d’un autre silence. Pour se souvenir que tout finit en corruption. Corrompre la matière sans vie en laissant croire, en faisant penser, même, que sans âme, il en est une, pourtant. Suffit de l’inventer, avec trop peu de sérieux, et une pincée de gravité.
C’est ainsi que le bonzaï à bidules trône depuis quelques mois sur une de mes étagères basses.
Au commencement n’était pas un verbe. Non. Au commencement était une sorte de boule informe de reliures à spirales, du type de celles qu’on utilise pour relier des paquets de documents importants, fréquemment destinés à meubler des réunions importantes, avant de finir dans des boites à archives qu’on remise ensuite dans d’immenses sous-sols afin de consolider les fondations des immeubles où siègent des entreprises très importantes. C’est Zorah qui m’avait fait l’offrande de cette boule de minces ressors, sur lesquels elle venait d’épuiser son peu de patience, à l’époque de « La Grande Chaîne des Touillettes ».
Un premier réflexe eut consisté à jeter à la corbeille cette chose incongrue. Cependant, selon moi, ce premier réflexe est en fait le réflexe zéro. Le premier réflexe étant de conserver ladite chose, et de voir.
Rentré chez moi, j’avisai un long crayon de bois, dont le fût est orné de ce motif en vrille qui lorsqu’il roule sur une table offre la vision d’une vis sans fin. Fascination garantie lorsque, écolier ou collégien, on dispose de cette distraction pendant qu’un enseignant ennuie son monde. Rires tout aussi garantis de l’assistance si on se fait surprendre dans cet état de divagation.
Je plantai le crayon dans l’étroit goulot d’un petit vase de terre acheté quatre ans plus tôt à Syracuse, et sur la tige du crayon j’emboîtai la boule de fil métallique, prenant soin, ensuite, d’étirer harmonieusement les ressors restés libres, à la manière d’improbables branches, afin de je ne savais pas encore quoi, mais sûrement afin de.
Et la fin ne tarda pas à pointer son museau infini.
Peu de jours auparavant, n’avais-je pas récupéré, sur le quai du Bassin de la Villette que je descends presque quotidiennement avant d’aller me perdre dans le métro, une petite broche, représentant, grâce à un minutieux assemblage de fines perles, une coccinelle et un papillon ? Le premier fruit de mon arbrisseau était tout trouvé. Le deuxième suivit de près. Un gros pendentif en verre bleu foncé, imitant un bouchon de carafe, et qui ornait un paquet de friandises dont on m’avait récemment fait cadeau. Pour assurer une éventuelle filiation, j’accrochai très vite dans le branchage insolite, quelques maillons conservés chez moi de « La Grande Chaîne des Touillettes ».
Un véritable festival de trouvailles s’ensuivit. Le hasard, pris d’une soudaine frénésie de copulation avec la coïncidence, à moins que ce ne soit l’inverse, semait ses petits à tous les coins de rue.
Une boucle d’oreille en métal argenté gracieusement ciselé, ornées de douze petites perles noires. Un fer à chaussure, dont je me souviens m’être demandé si le cheval qui était sur les épaules de son propriétaire s’était aperçu de la perte. Un billet de cinq livres Egyptiennes datant de l’époque de Néfertiti, ainsi qu’en témoigne, au recto, le portrait de cette Reine de Beauté. Une autre boucle d’oreille, en pâte de verre avec deux perles vertes ; ce qui me laisse dubitatif sur la propension féminine à perdre des boucles d’oreilles comme on perd ses gants : un seul à la fois. Une épingle de sûreté en inox. Un faux billet de cent francs. Celui-là est désormais plié en avion au sommet du crayon.
Vous je ne sais pas, mais moi si : lorsque j’ai envie de me nourrir rapidement d’un plat facile à préparer, j’ouvre un des nombreux paquets de tortellini dont je fais régulièrement l’emplette quand je m’adonne à la plaisante activité de faire mes courses. Or, la marque de tortellini que j’achète a le bon goût de clore ses emballages d’un merveilleux petit bout de fer gainé de plastique vert. Une fois déplié il suffit d’enrouler cette attache sur un stylo pour lui donner la forme d’une spirale, de ménager un petit crochet au bout, et voilà un peu de feuillage pour mon petit bonzaï.
Rien n’est plus simple.
Plus inutile.
Plus dénué d’intérêt.
Sauf à ce que je rêve, à travers cet hétéroclite concrétion, hommage loufoque aux peuple sans vie auquel nous confions des éclats de mémoire, plus ou moins repliés, qu’en parler m’épargne d’y croire, et de prétendre, qui sait, comme certains brocanteurs le firent récemment, qu’on aille admirer cette facétie dans un salon du palais de Versailles.
Quand le seul cristal dans lequel cet objet ait une chance de vivre, de sa vie minuscule, n’est que celui sur lequel, de temps à autre, je referme mes rideaux, pour nous souvenir. Et sourire d’un temps immobile dans les bras duquel nous passons, sans bien savoir, quelquefois, nous laisser bercer. Le bonzaï à bidules
* Oui, je sais l’accord féminin/masculin … Mais je vais y revenir. Parce que cette histoire d’accord dominant du masculin ça commence à saouler, et cependant un accord dominant féminin, ça saoulerait aussi !
Et j’ai ma p’tite idée là dessus …

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