Antichrist de Lars von Trier, où le summum du kitsch pseudo-poétique et pseudo-libérateur
On croit d’abord rêver, avec une première séquence onirique mêlant sexe et drame (un petit garçon qui tombe dans une neige d’étoiles du haut de la maison où ses parents sont en train de faire l’amour sous la douche, avec accompagnement de sublime musique vocale de Haendel), puis on se pince de plus en plus fort, au fur et à mesure des séquences du dernier film du réalisateur danois Lars von Trier, pour se convaincre que ce salmigondis pseudo-profond, dédié à Tarkovski, est bien l’œuvre de l’auteur de Breaking the waves et de Dancer in the dark.
N’ayant suivi que de très loin, au printemps dernier, la réception de ce nouveau film controversé, notamment pour quelques scènes « choquantes », comme on dit, dont les finales versant carrément dans le trash et le gore, c’est avec sérénité que j’ai assisté à sa projection, où je me suis surtout ennuyé avant de rire devant le déferlement de symboles téléphonés émaillant un discours aussi plat que violent, aussi convenu que simpliste, d’autant plus pénible que le métier du réalisateur est ce qu’il est, que l’esthétique de la chose est parfois somptueuse et que le jeu des acteurs en impose, à commencer par celui de William Dafoe, d’une remarquable intensité, mais aussi de Charlotte Gainsbourg, malgré la pauvreté caricaturale de son personnage.
À l’évidence, la thématique fait a priori « profond », qui implique la mort d’un enfant et l’associe d’abord à la culpabilité autoproclamée de la mère, dont le compagnon thérapeute entreprend d’assumer le chemin de deuil, avant que l’affaire ne se complique diablement, c’est le cas de dire. Car le sentiment de culpabilité de la femme remonte à la nuit des croix et s’enracine dans un imbroglio de sado-masochisme judéo-chrétien (ben voyons) où les rapports avec la nature originelle, déclarée « chaos » par un renard parlant qui surgit soudain de la nuit des glands (sic) sont aussi corsés de nihilisme que les relents sempiternels de la guerre des sexes naguère traités (mais avec génie) par les grands Nordiques Ibsen et Strindberg le sont d'incommunicabilité. Or ici, tout semble resucé et surtout « téléphoné », bien en dessous de Tarkovski et de Sokourov (dont Lars von Trier s’inspire parfois dans ses très belles images de nature au vaporeux sfumato), sans parler de Bergman. Alors que celui-ci, également « travaillé » par le besoin de s’émanciper d’un puritanisme écrasant, n’a cessé d’échapper à certain dogmatisme de la démonstration par l’approfondissement croissant de sa perception des êtres et des relations interpersonnelles (comme on le voit du radical Fanny et Alexandre à l’admirable Saraband), Antichrist se réduit à une sorte de pamphlet à prétention libératrice dont le dénouement pue l’anti-catéchisme. Ainsi, après avoir été mutilé et torturé par la femme, qu’il est contraint d’étrangler pour survivre, l’homme fait-il finalement se lever la cohorte des malheureuses ressuscitées des charniers gynocidaires de l’histoire, toute prêtes à entonner l’hymne au libérateur thérapeute…
« Tout est vain » est l’un des dernières exclamations jaillies de ce chaos d’époque. Et de fait : tout est dit…