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Un homme affable VIII.7

Publié le 24 juillet 2009 par Sophielucide

Lorsque Fabien vint me rejoindre au lit, il me conseilla d’aller enfiler  un vêtement si je ne tenais pas à ce que Paul, qui n’allait pas tarder,  puisse profiter de cette nudité qui n’appartenait qu’à lui.  Il s’approcha, m’embrassa en prononçant les mots exacts qui me feraient à nouveau plonger. Les mots ridicules et désuets qu’on ne peut prononcer qu’à deux : «  tu es à moi » « je t’appartiens » Les mots qui effacent toute la théorie de l’amour libre et sans contraintes « je suis ta femme » Les mots qui rappellent  que les risibles amours ne se dissolvent qu’avec un certain éloignement et qu’en attendant,  ce tête à tête, ce corps à corps nous permettait toutes les pitreries possibles, les extravagances indicibles que seul l’amour physique propose.

La visite imminente de l’ami annoncé força l’urgence, ce condiment recherché des amours illicites, le piment délectable des rapports abrégés, la petite touche crue qui dit la vérité quand l’amour sait se passer de toutes les fioritures nommées préliminaires. Point de  caresses improbables ni de détours palpables, juste une fulgurance qui vient ou ne vient pas. Un test implacable qui parle d’une compatibilité qu’on ne peut calculer. Nous passâmes cette épreuve haut la main, elle nous laissa sans vie, haletants dans la seconde d’éternité qui suit l’acte d’amour.

Sous la douche, je me dis que c’en était fini, que nous étions cuits : le mal était fait, l’amour allait régir chacune de mes pensées, le moindre de mes gestes, qu’il venait de s’installer sans ma permission mais qu’il était bien là, déjà ancré, à réclamer sans cesse, à se manifester dans les moments où je n’aurai pas besoin de lui. J’étais à nouveau une esclave et heureuse de l’être par-dessus le marché.

Juste avant que Paul ne se manifeste, nous nous sommes enlacés encore, mais tendrement cette fois. Nos corps ne sentaient plus que le propre, exhalaient une fraîcheur qu’on a envie de rompre mais aussi dans laquelle on voudrait s’installer. Sur la pointe de mes pieds nus, mes bras sur la nuque délicieuse de mon nouvel amant, je cherchai dans ses yeux le blanc-seing approuvant mes hallucinations. Il me répondit en posant doucement ses lèvres sur les miennes, et je me perdis encore un instant dans un vertige délirant, goûteux et fragile à la fois, dans un autre baiser qui annulait toutes mes théories sur son utilité. Embrasser ne s’apparentait jusqu’ici qu’à un prélude un peu obligé, une mise en bouche certes appétissante mais qui a ses limites. Avec Fabien, ces baisers prenaient un autre sens, comme s’ils se suffisaient à eux-mêmes,  ou alors ils annulaient déjà tout ce que j’avais connu jusque là.

J’avais perdu la mémoire et je découvrais dans ses bras  le goût de l’inédit, de l’exclusivité et rien au monde ne pouvait dépasser ce moment de fusion inouï.


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