Mon vin est d'ordinaire étoilé, un feu livide de nacre sans sacre, et qui me laisse aux lèvres la couleur mauve des baisers tuméfiés. Je le baise à la goutte près, jusqu'à aller la chercher aux pieds de mon aimée. Mon aimée est d'ordinaire joliment chaussée mais comme ce soir elle me trouve par trop aviné, elle a tourné les talons, ces talons qui sont le cep duquel mon vin vient quand elle revient, nue comme le grain que je goutte à sa gorge menue. mon vin ne déborde pas des coupes ni ne s'accouple, il me sait avide des degrés que je gravis en lui ôtant la robe. Pas de fruits rouges en son sein, pas de précieux bouquet, pas de sous bois au fond desquels se planquer quand mon aimée passe et qu'elle ne m'aime plus, puisque je ne l'aime pas assez, quand au fond de mon verre seule sa robe gît et qu'elle me chevauche comme un fût roulant au fond du chais. La robe de mon aimée ? Chut ! La robe de mon aimée ... Chute.
Mon vin est un siècle écroué par le passage étroit du goulot, un siècle qui n'en finit pas de compter les verres brisés, les boutanches rincées, les amis bourrés et mornes, les tables ruinées, les amours qui n'en étaient pas, les millésimes d'un soir, d'une nuit, à la seconde près. Mon vin me berce comme une mère versée dans l'art des menstrues monstrueuses et rompues. Et j'aime de mon aimée le sang, et j'aime de mon aimée le songe de l'enfant grappe que nous ne ferons pas ensemble. Car rien ne nous presse plus de mettre au monde une perle moirée de rubis, dont le monde, à feux et à sang, ferait une tâche de vin, sur un coin de nappe blanche.
Mon vin saigne aux flancs de qui veut bien le verser pour l'amour de mon aimée.