Depuis que Ecritures du Monde nous a filé entre les doigts, il reste à combler le vide des énigmes du samedi. Mon idée de départ était de donner un extrait de roman et de faire deviner la source, mais à quoi bon l’énigme, c’est tout de suite qu’on veut savoir et il faut s’effacer devant la beauté des textes, donc en cet été studieux, je vais de temps en temps, pour le plaisir, le mien et peut-être celui d’éventuels lecteurs, recopier ici quelques passages de roman qui m’ont particulièrement impressionné récemment ou… il y a plus longtemps. Souvenir encore frais du Japon oblige, nous commencerons par un extrait fulgurant du roman de Yukio Mishima “le Pavillon d’Or”.
C’est alors que l’incroyable se produisit. Sans rien changer à sa pose parfaitement protocolaire, la femme, tout à coup, ouvrit le col de son kimono. Mon oreille percevait presque le crissement de la soie frottée par l’envers raide de la ceinture. Deux seins de neige apparurent. Je retins mon souffle. Elle prit dans ses mains l’une des blanches et opulentes mamelles et je crus voir qu’elle se mettait à la pétrir. L’officier, toujours agenouillé devant sa compagne, tendit la tasse d’un noir profond.
Sans prétendre l’avoir, à la lettre, vu, j’eus du moins la sensation nette, comme si cela se fût déroulé sous mes yeux, du lait blanc et tiède giclant dans le thé dont l’écume verdâtre emplissait la tasse sombre – s’y apaisant bientôt en ne laissant plus traîner à la surface que de petites taches – ,de la face tranquille du breuvage troublé par la mousse laiteuse. L’homme éleva la tasse et but jusqu’à la dernière goutte cet étrange thé. La femme replaça ses seins dans le kimono.
Le dos raidi, nous regardions, fascinés. Plus tard, à repenser méthodiquement la chose, il nous parut qu’il devait s’agir de la cérémonie d’adieux d’un officier sur le point de partir au front et de la femme qui lui avait donné un enfant. Mais sur le moment, nous étions trop bouleversés pour trouver une explication quelconque. Si tendus étaient nos regards, nous n’eûmes pas le loisir de remarquer que le couple avait disparu de la pièce où ne restait plus que le grand tapis rouge.