Echec et Mat ?

Publié le 03 août 2009 par Didier T.

Profitant d’une lacune du système administratif, j’avais encore joué à "quitte ou double", ce qui, une fois de plus, me conduisait à déménager.
Je m’installais donc à Paris dans un appartement des bords de Seine, près du pont Bir Hakeim dans le XVème. L’immeuble de belle facture était surtout occupé par des personnels diplomatiques travaillant à l’UNESCO et j’avais eu la chance d’y trouver un refuge au loyer acceptable.
Pour suivre cette nouvelle scolarité, j’avais choisi Sciences Po, rue Saint Guillaume plutôt que la formation organisée au Ministère des Finances.
Nous formions un petit groupe d’élèves dont la majorité entendait prouver qu’elle n’était pas là par hasard. Un des membres de ce groupe, qui venait de Strasbourg, avait obtenu d’être logé dans un bâtiment réservé aux élèves de l’ENA, rue de Bucci.
Malheureusement pour lui cette rue, sur laquelle donnait sa fenêtre était très fréquentée le soir et très bruyante, les germanopratins y faisant la noce. Il avait du mal à y travailler et à s’y reposer.
Cécile étant restée à Nantes et ne venant me rejoindre à Paris que le week-end, je l’invitais donc à partager mon appartement, sachant que lui, le week-end, il ferait le chemin inverse sur Strasbourg où était restée sa femme. Pour me remercier d’une telle sollicitude, il alimentait mon bar en alcools blancs dont il était devenu un spécialiste.
De la poire Williams au Kirsh, en passant par la mirabelle, l’alcool de sureau ou le marc de Meursault, nos soirées de travail donnaient l’impression de se dérouler au plus près d’un alambic… Fin gourmet et toujours à la recherche d’une démonstration tendant à me prouver qu’il aurait pu briller dans les cuisines des plus grands palaces, il sélectionnait les boutiques où nous effectuions nos emplettes, Poîlane pour le pain, Quantin pour le fromage, et le gibier choisi rue Dupleix dans des étales de rêve. Bref sa présence chez moi transformait nos journées de travail en autant d’expériences culinaires et gourmandes.
Autant avouer tout de suite que, par ailleurs, nous fréquentions plus souvent le billard électrique de chez Basile, le bar situé juste en face de l’entrée principale de Sciences Po, que les cours en amphi où « le meilleur de nos économistes »  selon Giscard, c’est-à-dire Raymond Barre, nous transmettait sans effort son inclination à la sieste.
De temps à autre, des galops d’essais étaient organisés à l’IEP et à chaque fois, un de nos compagnons d’armes, Jean Eric, se lamentait des résultats catastrophiques que le rendu des notes lui attribuerait. Il venait à chaque fois se plaindre par avance de son sort d’infortune qui selon lui le traquait inexorablement.
A chaque remise des résultats, nous constations avec résignation que Jean Eric trustait les meilleures notes et que les affres dans lesquelles il se débattait n’étaient dues en fait qu’à une absence maladive de confiance en lui.
Avant d’intégrer ce cycle préparatoire, il avait fait l’X sans en sortir major, ce qui, à ses yeux, confirmait ses craintes d‘échec. Issu d’un milieu très favorisé, il avait tout pour réussir et nous le prouva en sortant dans la botte à la sortie de l’ENA d‘où il rejoignit le Conseil d’Etat.
Un de nos autres compagnons dû s’y reprendre à deux fois pour intégrer l’ENA. Le jour du concours, il avait été retenu par un embouteillage et ne s’était présenté que quelques minutes après la distribution des sujets ce qui lui interdisait de concourir. Je me souviendrai longtemps de ses yeux hagards quand on lui interdisait de rejoindre sa place
Quant à moi, dés l’épreuve du premier jour, mon sort en était jeté. "Les âges de la vie dans la société contemporaine" tel était le sujet qui à l’époque ne m’inspira rien qui soit susceptible récolter une note capable de faire la différence.
J’y rendais un ectoplasme de devoir dont le destin me menait tout droit à la poubelle. Ce ne fut même pas une réflexion ordonnée, segmentée, démontrant la tentative d’une analyse, c’était la juste confirmation évidente que, sans travail intellectuel préalable, le but ne pouvait être atteint.
Il eut fallu souligner que, dans le même temps, les jeunes actifs entraient dans la vie professionnelle de plus en plus tard, du fait de l’allongement généralisé des études alors que les départs en retraite ou en pré-retraite étaient de plus en plus précoces, préciser que la population active qui portait le fardeau fiscal et social allait diminuant de façon gravissime et que le poids des efforts qui leurs seraient demandés deviendrait de plus en plus insupportable, évoquer l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail, suggérer l’ouverture de nos frontières à une main d’œuvre immigrée et les efforts à réaliser pour leur donner une formation synonyme d’avenir chez nous, évoquer les travaux d’Alfred Sauvy et consorts.
La matière pour traiter un tel sujet était assez abondante et facile à mettre en perspectives, elle n’aurait dû me poser aucun problème majeur et pourtant , j’étais resté sec comme un arbre sans fruit, incapable de réfléchir au sens même de l’énoncé du sujet.
Comme si, disposant de tous les outils indispensables, j’en avais néanmoins perdu le mode d’emploi…
Cuisant échec personnel, cruelle déconvenue.
Conscient d’avoir gâcher ma chance, j’expédiais les autres épreuves sans conviction.
Plus tard, j’en venais même à regretter de n’avoir pu me présenter à l’oral d’admission du concours d’Administrateur du Sénat, concours passé avant celui de l’ENA, pour m’habituer, m’acclimater aux conditions de l’exercice et auquel j’avais été déclaré admissible mais qu’un réveil mécanique, remonté la veille trop énergiquement et qui s’en était trouvé bloqué, m’avait laissé endormi plus longtemps que de raison et fait louper l’heure de convocation à l‘oral.
J’avais bien été admis aussi au concours de CASU, passé dans le même esprit, mais ne souhaitais en aucun cas me retrouver à l’Education Nationale.
Ce concours qui venait de se refuser à moi, il me le fallait, coûte que coûte, tant il est difficile d’admettre l’échec quand on n’y a pas été habitué. J’avais, compte tenu de mon âge, la possibilité de m’y représenter une fois encore.
Déçu, désemparé, humilié et furieux contre moi-même, je me rapprochais du Ministère de la Santé où je fus recruté à la Direction Organisation Méthodes et Informatique, rue de Ségur.
Là, le directeur, à qui j’expliquais ma déconvenue, m’affecta au service Organisation qui devait préparer le déménagement d’une grande direction, tout en donnant des instructions pour que je puisse disposer de suffisamment de temps pour préparer dans de bonnes conditions mon prochain concours. Tout n’était pas perdu et je pensais tenir ma revanche.
Las, les évènements ne me permirent pas d’aller jusqu’au bout de mon projet. Alors que je m’étais déjà inscrit pour repasser ce fameux concours, les élection municipales de mars 77 furent remportées par les listes socialistes candidates dans les grandes villes, dont Nantes.
Or, j’étais à l’origine de la liste municipale conduite par Alain Chénard cette année là:
( http://www.ps-nantes-est.com/pages/La_motion_MarnotMarzin )
En section de Nantes, j’avais contraint l’ancienne équipe municipale à dénoncer son alliance avec la droite anti - UDR dirigée par André Morice. Seul Alain Chénard avait accepté d’en tirer les conclusions et avait bataillé trois années durant en étant le seul élu d’opposition.
Le 19 mars 77, au soir du deuxième tour, alors que les militants se pressent dans la permanence de campagne louée à deux pas de la mairie convoitée, que les résultats de chaque bureau nous parviennent et sont comptabilisés sur un vieux système Nixdorf, tout le monde est suspendu au résultat d’un dernier bureau qui tarde à nous parvenir.
Quand, soudain, alors que la tension montait dans la pièce, j’avais constaté que l’avance dont nous disposions ne pourrait être comblée par la liste adverse que si 75% des électeurs du bureau manquant votaient pour elle.
Ce qui était impossible puisqu’au premier tour, nous étions en tête dans ce bureau. On gagnea de 539 petites voix.....
Assis face à Alain, je lui assurais qu’il était élu et le conviais à rédiger rapidement une allocution qu’il aurait à faire devant les électeurs réunis près du bureau centralisant les votes de toute la ville.
Comme une traînée de poudre la nouvelle se répandit aux cris de « on a gagné, on a gagné », descendant vers la mairie, nous croisions des gens pleurant de joie, et tous allions narguer nos anciens compagnons qui, exclus du parti socialiste, avaient préféré les avantages de leur petite carrière et venaient d’en être chassés par le suffrage populaire.
Après une nuit de fête, je regagnais mon ministère à Paris pour y préparer le concours.
Ce n’est que début Avril que le maire de Nantes nouvellement installé me fit signe. Alors que je lui faisais valoir que j’avais un concours à préparer, il me répondit que sa proposition de poste comme Directeur de son Cabinet était tout aussi intéressante qu’un éventuel succès à mon concours, que j’accèderais plus vite à des fonctions tout aussi passionnantes et aurais l’assurance de pouvoir travailler dans ma ville natale entouré de gens que je connaissais bien et que je fréquentais depuis longtemps.
A bout d’arguments, et pourquoi le nier, flatté d’être ainsi choisi, je m’empressais de demander à Simone Weil mon détachement en mairie de Nantes qu’elle accepta dans des délais extrêmement brefs.
Début juin, je quittais Paris pour Nantes bien décidé à m’investir totalement dans ces nouvelles responsabilités dont j’ignorais tout. Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu