Les degrés de l'amour dans le roman courtois occitan (1240-1250)

Publié le 05 août 2009 par Araucaria

Flamenca
Flamenca, fille de Gui de Nemours, est une jeune fille de grande beauté, mariée à un noble seigneur, Archambault de Bourbon. Très amoureux de sa femme, Archambault est petit à petit gagné par une jalousie maladive et finit par enfermer l'épousée dans une tour à l'abri des regards masculins. L'histoire de la malheureuse Flamenca se répand et intéresse un jeune homme hardi, Guillaume de Nevers, qui s'en éprend "de loin" et décide de la délivrer.
L'histoire de Flamenca, dont l'auteur est resté anonyme, est l'une des plus grandes oeuvres en prose de langue d'oc et l'un des premiers romans psychologiques français. Subtile, souvent spirituelle, parfois complexe, la narration permet de mettre en scène et d'illustrer les cinq degrés d'amour de l'amour courtois occitan, tels qu'ils ont été théorisés par les troubadours.
- Le premier stade de l'amour est la naissance du désir, sans que la dame le sache. L'amant ressent en lui un déchirement entre souffrance et "Joi", cette dynamique qui vient du coeur et le pousse à se dépasser. Il est alors dit "soupirant". Ainsi Guillaume tombe amoureux de Flamenca et se rend dans la ville où elle est retenue prisonnière. Le jeune homme implore Amour de lui accorder sa grâce.
- Guillaume décide de faire sa cour à Flamenca et agit pour se rapprocher d'elle. Il est alors "suppliant", atteignant le deuxième degré du sentiment. Il se fait connaître de la dame, mais ne sait toujours pas si cet amour lui est agréable. Guillaume a remarqué que Flamenca ne sort que pour entendre la messe. Aidé d'un ami ecclésiastique, il se rase les cheveux et se fait passer  pour clerc. Il va donc à la messe déguisé auprès de Flamenca et parvient à lui parler, lui glissant : "Hélas!" Il espère que Flamenca comprendra qu'il s'agit d'un aveu amoureux.
- Troisième étape : l'amant communique indirectement avec la dame pour lui faire comprendre son sentiment. Ce sont les premiers échanges, à travers les chants de l'église. Guillaume est accepté par Flamenca et devient "amant agréé". Le subterfuge est habilement choisi : à chaque messe, les amants échangent deux mots, et deux mots seulement, pour s'avouer leur sentiment. "Je souffre d'amour", dit Guillaume; "pour qui?" répond la jeune fille, amusée par le manège.
- Quatrième étape : la dame accorde sa récompense à l'amant, le "drut" ou union charnelle. Flamenca prévient Guillaume de se rendre aux bains, où elle posède une loge privée. Une cérémonie secrète, conclue par l'échange d'un baiser dit osculum, lie les deux amoureux. C'est le moment de l'aveu commun.
- Pour mettre enfin à l'épreuve les dernières limites de l'amant, la dame, comme ici Flamenca, peut proposer "l'asag" ou le fait de faire l'amour avec l'aimée, mais avec "mezura", c'est-à-dire sans outrepasser les limites que la dame décide de donner à l'union charnelle.
Guillaume obtiendra de Flamenca les dernières faveurs, punissant ainsi Archambault de sa jalousie. Moralité : la méfiance des maris pousse les femmes à l'adultère. Le roman de Flamenca apparaît comme l'exemple même de ce que les troubadours nomment  un "Châtiment du jaloux", punition que l'Amour inflige au mauvais mari.
L'amour courtois et la chevalerie - Estelle Doudet - Librio n° 641 -