Magazine Journal intime

Recueil

Publié le 05 août 2009 par Lephauste

Nous avions accepté de montrer nos foyers.

Le visiteur a pensé : Vous vivez bien.

Les taudis sont dans vos âmes.

(Tomas Tranströmer, oeuvres complètes- Le Castor Astral)

Ces trois premiers vers d'un poème qui se nomme : La congrégation dispersée, je les trouve sur mon chemin, à intervalles réguliers, comme sur un chemin de ronde. Ils sont là, à nouveau. J'étais l'autre jour chez une très très grande amie, je dis "très très grande" parce que je sais que, en lisant ça, elle va éclater de rire, de son rire de fine petite corneille. C'est une amie qui ne me passe rien, ni les caprices de la misère morale ni les colères qu'elle ne trouve pas solaires, pas du tout. Mais qui me lit en se désolant parfois que je ne fasse que cela, écrire. Et que pour le reste, à part aimer, je sois très en dessous de la survie. Et l'autre jour cette amie me dit : Tu sais, c'est moi qui l'ai ton recueil ! C'était exactement le moment, pour moi, de quitter le chemin de ronde, de laisser Zangra disparaître sous les poussières du désert des Tartares et d'apprendre enfin à vivre. Mais j'ai ouvert le recueil, tout de même, parce que le matin était enfin venu, que la maison dormait encore et que dans la pelouse qui est en fait un extrait de prairie, les fleurs jaunes et moi attendions que le soleil vienne, pour que nos couleurs lui répondent et se mettent à son service. J'étais parmi les fleurs jaunes avec mon cahier et Tranströmer, de loin le moins coloré.

Tranströmer, poète scandinave ... Et après ? Et pendant ? Et avant ? Avant, c'était en 1990. André Velter animait une émission sur France Culture, poésie sur parole et cette semaine là de 1990, son invité était Tomas Tranströmer. Dans la librairie où je travaillais avec Denise Roque, Emmanuel Valtat et Muriel Bonicel, l'arbre voyageur, Paris 5e, à l'angle de la rue du pot de fer, nous étions chaque soir vers 17 heures suspendus au tuner qui diffusait la voix de Bernard Pierre Donnadieu pour la traduction française de Jaques Outin et celle de l'auteur pour la langue natale de l'oeuvre. Nous étions comme à l'heure de hit parade les mômes se trouvent, transportés, irrascibles. Chut ! Les clients même ne se demandaient pas si il allaient repartir avec le recueil, nous aurions trouvé déplacé de leur vendre autre chose; Quoi madame, le dernier Régine Déforges ? Ah non je ne crois pas que nous l'ayons; Non je vous dis ! Nous ne l'avons pas. Et Denise d'ajouter : Quelle bande de cons !

Et les mots filaient à la vitesse lente du remorqueur, et les mots attendaient dans la nuit que tous passent par le guet, et les mots disaient calmement, pesamment la vie, partout où elle se signalait par l'usage commun :

A l'intérieur de l'église : des piliers et des voûtes,

Blancs comme du plâtre, comme la bande de plâtre

Sur le bras cassé de la foi.

A l'intérieur de l'église, l'assiette du mendiant

S'élève elle même du sol

Et passe entre les bancs

Mais les cloches des églises doivent s'en aller sous terre.

Elles s'accrochent  aux tuyaux des égouts.

Elles tintent sous nos pas.

Le somnambule Nicodème sur la route

de l'adresse. Qui a l'adresse ?

Ne le sais pas. Mais c'est là que nous allons.

Mais une chose que ne disaient pas les mots c'est que Emmanuel Valtat allait mourir, peu de temps après. Lui qui aimait tant la vie qu'il arrivait le matin, cabossé, déglingué, battu comme plâtre par les hommes qu'il aimait. Emmanuel aimait les hommes et la poésie aimait Emmanuel.


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