Éraflures

Mon corps couvert d’ecchymoses et d’éraflures, je courais parmi les ronces. Les épines me frappaient

Elles s’enfonçaient dans mes avant-bras et paumes de mes paumes comme autant de piqûre que le démon pouvait m’en infliger.

Il y avait dans l’air une odeur de soufre, le ciel était jaunâtre et la fumée acre n’était pas loin. Ce qui me poursuivait ne ralentissait pas son pas. Le moindre de mes muscles peinait à me propulser de l’avant. Mon corps était encore prêt à se battre, mais mon esprit lui, était très près de se rompre et de laisser ma vie se terminer ici. Je savais pourtant que m’arrêter était une mort assurée. Une mort lente et vile. Elle me ferait souffrir l’enfer avant de m’achever si je la laissais faire. Et je n’avait plus la force nécessaire.

Si je tente encore une fois de pénétrer son esprit, ce sera la mort assurée. Foudroyé par la force de son esprit malade. Voilà ce qui m’attend. En dernier recours, si j’en ai l’occasion, j’essayerai. C’est tout ce qui me reste. Un an de traque, elle m’a traqué, je l’ai traqué… J’ai l’impression qu’au final elle s’est jouée de moi.

Elle est venue me délivrer des sangles de l’asile, pourquoi ? C’est une étrange question qui resurgit dans mon esprit à cette seconde. Mon esprit s’y accroche alors que je devrais chercher une solution pour m’en sortir. Mais pourquoi donc n’arrive-je pas à me la sortir de la tête. Probablement parce que c’est l’autre que moi, celui qui vit en moi qui tente de me communiquer une information. Subconscient ou réel entité schizophrénique, l’ange noir est là pour me parler. L’écouter… Mais comment l’écouter alors que mes poumons me brûlent de n’avoir assez d’oxygène pour donner à mes muscles la force de fuir encore ? Je déboule hors des ronces. La forêt est moins dense ici, j’accélère le pas à mesure que les troncs qui se brisent sous sa force immense se rapprochent.

Elle est venue me libérer… J’ai touché quelque chose dans son esprit. Quelqu’un. L’ange rouge. Cela doit être ça. Si ce n’est pas ça, de toute façon, je mourrai bientôt. Au prix d’un effort surhumain, je stoppais ma course et, sans me retourner, concentrais mes pensées sur mon souffle… Me calmer, trouver des forces pour l’affronter. Mais si ma dernière attaque à réussit à réveiller l’ange rouge, alors j’ai peut-être une alliée quelque part sous la surface de cet esprit malveillant. Peut-être que tout n’est pas perdue, peut-être que la femme que j’ai aimé jadis, que j’aime encore existe toujours sous cette banquise de haine iridescente. Peut-être que tout ce que j’ai vu dans son esprit n’était pas un leurre. Mais alors, elle ne l’a peut-être pas tuée. Juste blessée, enfermée de nouveau dans une prison de souffrance.

Redhoreen avait l’air désorientée lorsqu’elle est venue dans l’asile. Elle a eu l’air paniqué en me libérant et en s’enfuyant. Elle n’était pas Redhoreen… Ou pas complètement. Red se cache sous la surface. J’en ai maintenant la presque certitude. Il le faut. Les troncs juste derrière lui se brisèrent comme des allumettes et tombèrent au sol avec fracas… Puis le silence. Puis cette respiration rauque et malsaine. Cette reptation grotesque sur le sol. Le monstre était juste derrière moi. Et je pouvais sentir le regard froid et acide de Redhoreen consumer ma nuque.

Je me retournais lentement et plongeais mes yeux dans son regard de pierre. Ma certitude vacilla. Mon amour pouvait-il se trouver derrière la folie qui consumait cette âme. Serai-je à même de la ramener. Serai-je à même de faire ce que je venais décidé de faire ?

Le monstre immonde, le serpent démoniaque et démesuré, l’eau du Lac, ne cessait de tourner et se retourner derrière elle. Il était la destruction, le démon, la représentation démesurée de la haine qui coulait dans ses veines. À son contraire, elle était totalement immobile, le visage fermé et blême, pas un de ses muscles ne tressaillait. Et pourtant, je pouvais ressentir sans mal, la puissance psychique en œuvre dans son corps pour se projeter sous la forme du monstre. Une énergie de désespoir, une énergie de mort. Une énergie qui la consumait comme un fétu de paille et qui ne laisserait dans quelques mois qu’une coquille vidée de son énergie vitale. Elle ne pourrait échapper à la mort si cette haine n’était pas maîtrisée. Il en eut à cet instant la certitude. Mais en cet instant, ce n’était pas le combat du monde contre le démon, mais celui de deux âmes liées, torturées, qui allait se dérouler.

Pleine d’une assurance malveillante elle fit un pas vers moi et murmura, à la limite de ma capacité de compréhension, un simple de mot. « Enfin ».

Je le devinais plus que comprenais et lui répondais, me gonflant des dernières traces de foi qui me restait. «  Ceci n’est pas la fin ». Alors sans plus attendre, je l’attaquais. Je projetais mon esprit sur elle. Je sus alors que c’est ce qu’elle désirait aussi, car je ne ressentis pas de résistance à rentrer dans son âme. À fusionner nos pensées. Elle m’attendait de pied ferme, prête à m’achever. Elle voulait que sa victoire fut totale. Elle me donnait donc une chance d’être écrasé par toute la puissance de son esprit.

Il est si fort, que j’en ai le souffle coupé.

— Eleken,
Ce que je viens d’écrire sur Rouge Crépuscule